mardi, novembre 13, 2007

Musclor 2 & Vénus 2






























Conversation de bonnet blanc et de blanc bonnet.
" Cinquième.


- Le réalisme, l’abstraction, quelle histoire !
- Le pantographe du sculpteur, l’appareil photographique, ça a dû dérégler les artistes copieurs ?
- Ça ne s’est sans doute pas fait par réaction immédiate. Mais c’est vrai que ces machines performantes ont légitimé les grands artistes qui ont pu se détourner du réalisme de marbre sans âme.



- C’est Brancusi qui comprend le mieux au début du siècle qu’il était inutile de rivaliser avec les machines à mouler et qu’il était préférable de chercher autre chose de plus intime dans la matière.
- Il a vu l’Exposition Coloniale.
- Hé oui !
- Il a lui aussi été subjugué par les statues africaines si différentes de ce qui se faisait en Europe ; si étranges pour un sculpteur qui a une formation classique !
- Brancusi, homme du 20ième a travaillé un peu avec Rodin, homme du 19ième. Il y a pourtant une rupture de style radicale entre eux; une rupture qui est assez difficile à comprendre ; on passe du réalisme à l’abstraction, du compliqué à la simplification.
- Le jeune Brancusi aurait dit au vieux Rodin qu’il foutait le camp de chez lui parce que « à l’ombre des grands chênes rien ne pousse ! »
- Quel tempérament !
- C’est aussi la découverte des statues africaines qui l’instruit plus que son stage chez Rodin, l’étalon Maître. C’est vrai aussi pour Picasso, Matisse, Modigliani, ect.
- Oui, ils deviennent dingues de ces drôles de statues d’hommes grotesques, rigolotes, insolites, dramatiques… Les Africains ignorent le pantographe cette machine à suivre fidèlement un modèle d’argile. Ils n’y auraient même pas songé, puisqu’ils ont toujours crée la physionomie de leur personnage.
- Sans doute étaient-ils tributaires de la forme cylindrique du morceau de bois ?
- Oui, mais il n’y a pas que cela ; ça ne dérange pas un sculpteur océanien d’ajouter une autre matière ou un objet qui dépasse ; un Européen n’en avait pas l’autorisation, il suivait les codes classiques comme un musicien qui respecte la gamme tonale et qui ne se permet pas de dissonances. Le sculpteur occidental doit toujours chercher à imiter la chair.
- C’est sans doute pour toutes ces différences que Constantin Brancusi a eu envie de ruer dans les brancards du classicisme.



- Si c’est pour ces raisons qu’il a tout simplifié, alors là, chapeau !
- Il fut entraîné vers une simplification, une épuration des formes que l’on n’appelait pas encore « abstraction. »
- L’oiseau de Brancusi est plus le symbole d’un oiseau qu’un vrai oiseau.
- C’est plus l’idée d’un envol que la représentation d’un oiseau, pour cela on ne peut pas dire qu’il est un sculpteur abstrait. Ces sculptures ont un nom de référence ; coq, phoque, etc.
- Ok, il n’est pas abstrait.
- En revanche les socles qu’il empile, ressemblent à des éléments de charpente et de menuiserie sont abstraits.
- Il faut être prudent et ne pas trop être obsédé quand on emploie le mot « Abstrait » ou « Concret » en art.



- Oui, Jean Arp prend un mot pour l’autre et son argument tient la route. Il affirme que la sculpture est concrète quand on ne peut rien reconnaître en regardant l’œuvre ; lorsque l’on ne voit que des formes !
- C’est le cas de ces sculpteurs ; Lardera, Gilioli, Marta Pan, Bill.
- Pour Jean Arp, la sculpture est abstraite quand le sculpteur imite un homme avec de la pierre, du bois, du bronze. Dans ce cas dit-il, c’est une tromperie : « un homme n’est pas en pierre, vous êtes devant une sculpture abstraite. »
- C’est trop abstrait pour lui de voir un homme fait en pierre sur un piédestal au carrefour d’une ville.
- J’aime bien les gens qui savent inverser les concepts.



Suite de la conversation.
Les deux bavards se sont déplacés devant une autre oeuvre.
" Sixième.


- Baudelaire n’est pas dupe, un homme de pierre est de marbre, il n’est pas là humainement immobile à tendre son index à un carrefour, cet homme de pierre est là pour déclencher une réaction évocatoire chez le passant.
- Pour Baudelaire, cet homme glorieux n’est qu’une image commémorative.
- Il n’en a pas toujours été ainsi. Dans la cella, la pièce centrale d’un temple grec, la statue d’Athéna de Phidias par exemple, était vraiment présente.
- Objection ! la plupart des Athéniens n’avaient pas la possibilité de la voir. Seuls, les prêtres entraient dans ce sanctuaire.
- C’est vrai. Du coup, un film fantasmatique différent pouvait défiler dans l’imagination distincte de ceux qui faisaient la procession des « Panathénées » autour des colonnes sous le stylobate du temple.
- Ils pouvaient imaginer qu’il y avait t à l’intérieur.
- Ils n’auraient pas été déçus s’ils étaient entrés à l’intérieur de la cella : une grande sculpture de 6 mètres de haut en bois qui touchait presque le plafond, en bois.
- Trop grande pour être une vraie déesse !
- Oui, c’est étonnant, mais c’était une déesse, recouverte de peinture, d’ivoire et d’or, chryséléphantine ! Elle faisait vraie, vivante comme pouvait l’être une déesse dans les cieux, ses yeux étaient de pierres précieuses comme les nôtres.
- Aujourd’hui il est difficile d’imaginer que voir la matière brute sans être peinte décevait le spectateur.
- C’est juste. Dans les églises jusqu’au début du 20ème siècle, le bois, la pierre, n’étaient que la structure interne de la divinité, de la sainte Vierge. Cette matière brute était peinte de manière très réaliste comme une geisha.
- Les artistes du 19ième siècle préféraient le bronze. Ils patinaient même leurs bonshommes d’argile au cirage pour qu’ils ressemblent à du bronze. Ils faisaient cela lorsqu’ils n’avaient pas les moyens de faire couler leur œuvre en bronze.
- Une geisha donne l’impression d’être en bois peint et habillé. Une vraie femme trop maquillée, peut tromper lorsqu’elle reste immobile sur son tabouret de bar.
- Si l’on installait aujourd’hui le défunt dans le salon ou au funérarium debout comme en Égypte romaine dans le Fayoum, je pense que cela ficherait la trouille à tout le monde.
- La mort serait encore plus glaciale dans le dos…
- Couché, le mort semble dormir, c’est rassurant. Quand nous dormons dans des draps, nous ne faisons pas trop peur.



- Lors d’une Fiac, une grande expo parisienne annuelle, au hasard de mes déambulations, entre les œuvres et les visiteurs, je me suis trouvé très près d’une femme nue qui ne bougeait pas.
- Cela pouvait être un happening ! Elle était debout ?
- Oui. Il m’a fallu plus de trente secondes pour être certain que c’était une créature de matière plastique. Ce sont les implantations des cheveux qui m’ont confirmé la tromperie. La peau était parfaite, je me souviens encore d’une légère marque du slip sur la peau sur la hanche.



Suite de la conversation.
Les deux discoureurs sont dans la rue devant une œuvre qui vit bien dehors.

" Septième.


- Un homme de bronze peut-il être confondu avec son modèle vivant ?
-Tout de même pas ! Si Victor Hugo est dans un square sur un piédestal, vous passez sans être surpris par sa présence.
- Oui, parce que la plupart du temps, le modèle est mort. Victor Hugo en bronze me renvoie à l’écrivain que j’ai lu parce que je le reconnais, je fais confiance à l’œil et à la main de Rodin.
- Pourtant, un sculpteur du 19ème siècle s’emporte contre les « cadavres de pierre » et de bronze qui s’érigent un peu partout dans nos villes.



- Baudelaire lui parle de « fantômes de pierre. »
- En 1859, Charles Baudelaire donne la véritable raison du pourquoi on érige ces personnages à la vue de tout le monde :
« Vous trouverez une grande ville vieillie dans la civilisation (…) sur les places publiques, des personnages immobiles, plus grands que ceux qui passent à leurs pieds, vous racontent en ce langage muet, les pompeuses légendes de la gloire, de la guerre, de la science et du martyre (…) Fussiez-vous le plus insouciant des hommes, le plus malheureux ou le plus vil (…) le fantôme de pierre s’empare de vous pendant quelques minutes et vous commande au nom du passé de penser aux choses qui ne sont pas de la terre. Tel est le rôle divin de la sculpture.»
- C’est beau, non ?



- Encore aujourd’hui, tout le monde comprend le point de vue de Baudelaire.
- Cette idée de la commémoration est portée à son paroxysme entre les deux guerres. La France érige 30 000 monuments aux morts sur lesquels figurent souvent des poilus courageux le fusil à la main, baïonnette au canon. 15 monuments par jour en France furent inaugurés, pendant 5 ans de 1920 à 1925.
- Hé bé !





Conversation d’extérieur.
Les deux compères se sont installés au soleil sur un banc sans crotte de pigeon.
" Huitième.


- Tailler une pierre ou modeler de l’argile n’est-il qu’une activité manuelle et artistique que l’on fait seulement par dilettantisme, par passion ?
- Enlève-toi cette idée de la tête!
- Essaye de me l’enlever.
- Je t’en ai déjà parlé. Dans l’Antiquité et jusqu’à la fin du 19ème , en Europe et ailleurs, un sculpteur artisan ou chaman, ne réalisait pas un être d’argile sans raison. Modeler ou casser une sculpture pouvait détourner la vie ou la mort de l’être représenté.
- Aujourd’hui, cela n’a plus de sens. Aujourd’hui se faire plaisir et voir de quoi on est capable avec la matière brute sont de bonnes raisons.
- Ce sont des raisons assez récentes. Aujourd’hui un sculpteur du dimanche ne fait guère que se lancer une sorte de défi perso qui tourne vite à l’autosatisfaction.
- C’est déjà pas si mal.
- Modeler était dans l’Antiquité un but bien plus sérieux que cette activité d’occupation d’atelier du troisième âge d’aujourd’hui.
- Tu es moqueur.
- Oui et non, j’aimerais que l’on redonne du sens à cette activité comme ce fut le cas dans l’Antiquité en Afrique et dans le monde.
- On ne pourra plus lui donner le même sens.
- Bien sûr ! Puisque nos ancêtres croyaient que les images étaient presque vivantes.
- Si l’on était en face d’une déesse peinte, c’était « presque » la déesse elle-même qui était là.
- Elle était là, en pierre, en bois ou sur du papier.
- Oui, et l’on n’imagine plus de nos jours à quel point c’était prégnant.
- On a rapporté que l’on voyait des croyants qui grattaient la pierre des sculptures pour récupérer de la poussière qui mélangée aux tisanes pouvait couper la fièvre parce que précisément tel saint de pierre était un saint guérisseur.
- Je n'y crois pas !



- Lorsqu’un saint n'avait pas fait pleuvoir, les paysans en colère par son impuissance ou sa mauvaise volonté faisait prendre un bain à la statue enchaînée, pour la punir et lui rafraîchir les idées.
- Des histoires comme celle-ci il y en a beaucoup ?
- Oui. C’est ce que l’on appelle l’idolâtrie.
- Avec de telles croyances, il ne faut pas être étonné quand l'an 726 le Pape des Chrétiens ordonne la destruction des images peintes et sculptées.
- Il craignait le paganisme.
- La religion chrétienne a failli être une religion sans image comme la religion islamique qui elle a tranché ; pas d’image à idolâtrer.
- Tranché ?
- Al-Bukhari, un théologien musulman, déclarait ; "Dieu n'entrera pas dans les maisons qui abritent un chien ou des images plates ou en volume. Le jour de la résurrection, le peintre ou le sculpteur subira le pire des châtiments s’il a imité les créatures de Dieu. Et, quand Dieu lui dira : « vas-y maintenant, donne la vie à ces créatures que tu as sculptées, vas-y, essaye! »"

- On n’est pas très loin de Mary Shelley, son comte et sa créature de chair.
- Elle a donné la vie, mais ça a mal tourné.



- Un millénaire nous sépare de ces Saints de pierre moyenâgeux, on ne peut plus comprendre cette superstition de l’image.
- Moi je comprends que les lettrés arabes se soient méfiés des images.
- Je me demande bien ce que j’aurais fait à cette époque si j’avais eu des responsabilités religieuses ?
- Le temps et le distance embrouillent la compréhension.
- Que diront-ils de nous et de l’authenticité de la télévision dans 1000 ans? Peut-être que l’on rira bien de nous ?
- Oui, je suis certain que, dans quelques centaines d’années, on ne comprendra plus comment on a pu rester assis devant ce petit cube de lumière appelé télé.
- Quelle illusion ! Quel simulacre de l’actualité !


Conversation de terrasses.
Les deux discutaillons se sont installés sur une terrasse de bistrot, ils s’envoient un demi.
" Neuvième.


- Ousmane Sow pense que le coulage en bronze n’est plus un geste artistique contemporain, mais appartient au passé.
- Pourtant la figuration d’Ousmane Sow se rapproche de la sculpture classique de Michel-Ange, de Rodin.
- Le réalisme d’Ousmane Sow intrigue.
- Pourquoi modeler aujourd’hui des êtres d’argiles comme ceux de Sow qui ne font pas le poids avec ceux des grands maîtres et je pense précisément à Rodin ?
- Il ne faut pas comparer; les deux types de personnages émeuvent, reconnais-le.
- Oui, un guerrier Peule ou le saint jean-Baptiste me font le même effet.
- Ils sont puissants tous les deux !
- Ils ont des marques de fabrique sur leur surface.
- Giacometti explique bien sa démarche. Il émeut lui aussi. Il entre dans la matière :« Quand mes doigts creusent le plâtre, c’est qu’ils cherchent les ossements derrière la peau, le crâne et les vertèbres, et tout l’écorché aussi… Quand mes doigts caressent le bronze, c’est la voix, le regard de mes parents et de mes frères, de mes compagnes ou de mes rares amis que j’essaie de retrouver… »
- Si tu te mets à parler par citation interposées, je peux te citer André Gide ;
“Elle est belle, elle ne signifie rien; c’est une oeuvre silencieuse, simple beauté de plan; nul détail inutile.” Il parle d’une sculpture de Maillol.
- C’est beau ! cette phrase est suffisante pour tout expliquer, elle pourrait s’appliquer aussi bien pour une sculpture de Brancusi.
- Somme toute, nous aurions dû commencer par cette phrase qui dit tout.
- Cette dernière citation n’est pas mal non plus ; “Maillol ne procède pas d’une idée qu’il prétend exprimer en marbre; il part de la matière même, pierre ou marbre."




- Ses femmes sont sensuelles. Un éditeur en a reproduit une sur la couverture d’un manuel d’éducation sexuelle de collège.
- Non ! C’est une femme de Rodin. Précisément, c’est « le baiser ». Il y l’homme et la femme.
- Ce qui a plu à l’éditeur c’est de présenter un couple nu en bronze et non pas un couple nu de chair. Cette pirouette lui permet de montrer deux corps nus.
- …sans trop se mouiller.



Dernière conversation d’encyclopédistes.
Mais pas la moindre puisque celle-ci est véridique.
Diderot et d’Alembert s’entretiennent.
" Dix de der.


D’Alembert - Je voudrais bien que vous me disiez quelle différence vous mettez entre l’homme et la statue, entre le marbre et la chair.
Diderot – Assez peu. On fait du marbre avec de la chair et de la chair avec du marbre.
D’Alembert – Ainsi la statue n’a qu’une sensibilité inerte ; et l’homme est doué d’une sensibilité active.
Diderot – Il y a sans doute cette différence entre le bloc de marbre et le tissu de chair; mais concevez bien que ce n’est pas la seule.
D’Alembert – Assurément. Quelque ressemblance qu’il y ait entre la forme extérieure de l’homme et de la statue, il n’y a point de rapport entre leur organisation intérieure. Le ciseau du plus habile statuaire ne fait pas même un épiderme.
Di – Oui, mais il y a un phénomène commun
D’A - Et ce phénomène quel est-il ?
Di - Il se fait toutes les fois que vous mangez.
D’A - Toutes les fois que je mange !
Di - Oui, car en mangeant, que faites-vous ? Vous levez les obstacles qui s’opposaient à la sensibilité active de l’aliment. Vous l’assimilez avec vous-même; vous en faites de la chair; et ce que vous exécutez sur un aliment, je l’exécuterai quand il me plaira sur le marbre.
D’A - Et comment cela ?
Di - Je le rendrai comestible.
D’A – Rendre le marbre comestible, cela ne me paraît pas facile.
Di - Je prends la statue que vous voyez, je la mets dans un mortier, et à grands coups de pilon…
D’A- Doucement s’il vous plaît, c’est un chef d’œuvre de Falconet.
Di - La statue est payée.
D’A - Allons, pulvérisons donc.
Di – Je mêle de l’humus à la poudre obtenue et je pétris. J’arrose. Je laisse putréfier deux ans, puis, vous savez ce que j’en fais ?
D’A – Je suis sûr que vous ne mangez pas l’humus.
Di – Non, mais il y a un moyen d’union, d’appropriation, entre l’humus et moi, un latus, comme vous le dirait un chimiste.
D’A – Et ce latus, c’est la plante ?
Di – Fort bien. J’y sème des pois, des fèves, des choux, d’autres plantes légumineuses. Les plantes se nourrissent de la terre, et je me nourris des plantes ;
D’A - – Vrai ou faux, j’aime ce passage du marbre à l’humus, de l’humus au règne végétal, au règne animal, à la chair.


Diderot, entretien avec d’Alembert, 1769.
C’est authentique, mais un peu plus long.










mercredi, octobre 31, 2007

Musclor 1 & Vénus 1.














La sculpture typ’top de l’Homme modèle et de la Vénus de rêve.


Conversations entendues lors de différentes expo’, transcrites ci-dessous.

Première conversation.


- Quelle belle femme en bronze ! on dirait un moulage tant elle ressemble à une vraie!
- Elle semble bien fidèle au modèle !
- Alors, pourquoi ne pas la faire d’après moulage ? Pourquoi se casser la nénette à la modeler ou à la tailler dans le marbre ?
- Ce n’est pas pareil, le sculpteur l’a réalisée exactement comme s’il l’avait moulée, mais sans l’aide d’un moule. Son œil et sa main sont aussi forts qu’une machine à mouler.
- C’est nul de faire à la main ce qu’un moule peut faire.

- C’est cocasse, tu soutiens l’idée inverse de celle d’Andy Wharhol; « Je voudrais être une machine.» disait-il. Il voulait être une machine à peindre des Liz Taylor en sérigraphie. Je pense qu’il aurait aimé être une machine à sculpter des Liz ou des Marylin.
- Au Salon des Arts, Rodin fut soupçonné de moulage lorsqu’il présenta « l’âge d’airain ». C’est un jeune homme gracieux en bronze, il est de la taille de son modèle. Mouler se faisait, mais ça faisait mauvais genre, ça diminuait forcément l’aura de l’artiste.
- Et pourtant ! ce qui compte, n’est-ce pas plus, le choix du sujet, le choix de l’attitude de la personne sculptée, le choix de son expression plutôt que l’exactitude du modèle?
- Bien sûr, c’est comme au théâtre.
- Comme au théâtre ?

- Oui, le même rôle peut être joué et mis en scène par des artistes différents. Le résultat expressif dépendra des qualités de plusieurs personnes ; de l’acteur, de l’écrivain, du metteur en scène, de l’éclairagiste, etc. Je ne parle que des expressions du corps et du visage.
- Oui, c’est vrai, Harpagon a été joué par différents comédiens.
- Vexé, Rodin ne présenta par la suite que des personnages plus grands d’un tiers que la réalité de son modèle. De plus, il laissa les traces inachevées sur son argile. Son affaire de moulage s’est arrangée d’elle-même.
- Je retiens que, suivant l’époque, l’artiste aime le moulage et à d’autres moments non; Warhol, Duane Hanson, oui. Rodin, Canova, non.
- Le public, lui, suit-il toujours conjointement les envies des artistes ?
- Si, mais avec plus ou moins de retard.
- Peut-être cette discussion se résume-t-elle ainsi ; à certains moments de l’histoire de l’art du monde, le public et l’artiste valorisent le travail plus que les qualités expressives de la sculpture, c’est quelques fois le contraire. Mais aussi, le plus souvent, l’expression et le savoir-faire peuvent compter pour autant.




Conversation d’expo’ transcrite.

Deuxième.

- Tu connais Galatée ?
- « Il me considérait comme descendue du ciel. » rapporte Dina Vierny modèle à 15 ans, en parlant de Maillol 73 ans.

- Dina était la Galatée de Maillol ?
- Non !
- Tu connais Pygmalion ?
- Oui, c’est un sculpteur grec qui détestait les femmes. Cependant, il se pâma devant sa sculpture tant elle était belle et réussie, puis il réussit à l’épouser. Il s’appliquait, il la lissait.
- Il ne se pressait pas de la finir !
- C’est Aphrodite qui l’a rendue vivante pour faire plaisir à Pygmalion qui la soûlait de ses demandes régulières.
- Il a appelé sa sculpture Galatée.
- Beaucoup d’artistes aimeraient pouvoir épouser leur sculpture !
- Tu me fais penser à Degas et à sa jeune danseuse arrogante en tutu.
- L’épouser?
- À condition qu’elle soit réussie. Le hic, c’est que peu d’individus ont le niveau de Degas.

- Personne n’épouserait une sculpture ratée à la plastique disgracieuse.
- Imagine que l’on dise aux jeunes gens; « Sculpte la fille de tes rêves et c’est celle-ci qui t’apparaîtra le jour et la nuit de tes noces! »
- Certains se sauveraient en courant et ne modèleraient plus jamais de l’argile
- Moi j’en connais qui s’appliqueraient.
- J’ai pris l’exemple de la jeune fille, mais il en serait de même pour le Musclor de ses rêves.



Conversation d’expo’.
Troisième transcription.


- Les Égyptiens nommaient quelques fois le sculpteur « celui-qui-garde-vivant. »
- Je dirai plutôt, celui qui aimerait rendre vivant.
- Il faudrait s’entraîner dans les écoles d’art avec de grands maîtres. Il ne suffit pas de s’appliquer pour réussir la belle représentation d’un être humain.
-Il y a des perfectionnistes qui ont recours à d’autres matières que l’argile ou le marbre !
- Le latex, la résine synthétique?
- Oui, on peut acheter une femme par correspondance dans des matières qui donnent la texture de la vraie peau, mais bof, on est loin du réalisme.
- Non, pas de latex, je pense à de la vraie chair. Sculpter avec de la chair humaine.
- De la vraie chair ? Ta plaisanterie est de mauvais goût. Restons en sculpture artistique.
- Non ! Examine le cas du Comte de Frankenstein qui ne fait que rassembler des morceaux de chairs mortes. Il laisse voir les raccords. La créature qu’il réalise est laide, repoussante, elle va s’en rendre compte et c’est le début de la catastrophe puisque cette créature mâle ne réussira pas sur cette terre à aimer une femme née du ventre de la mère. Subséquemment, il demandera désespérément à son créateur, le comte de Frankenstein de lui fabriquer une femme à son image, faite de lambeaux de chair.

- Heureusement le Comte ne va pas faire deux fois la même balourdise avec de la récup’ de cimetière. Cette fois il imagine les conséquences ; la copulation puis, la reproduction. Ce refus sonnera le glas de ses ennuis. À lire.
- En fait, je me demande si lorsque qu’une femme attend son bébé, elle n’est pas dans la même angoisse que celle du sculpteur qui doit s’appliquer. Pas le droit de fumer, bonne alimentation, pas de voiture.
- N’exagère pas, ce n’est pas comparable ! Il n’y a pas de point commun entre la chair et ces autres matières ; le bois, le marbre, le bronze et le latex.,







Conversation de Salon.

Quatrième transcription.

- Les gens aiment bien que le bois et la pierre sculptés ressemblent bien à quelqu’un.
- Oui, on reproche à Pline de ne s’occuper que de cela et de ne pas s’occuper de l’émotion des personnages.
- Pline l’Ancien c’est un historien romain ?
- Il a écrit une histoire de la sculpture grecque en ne se préoccupant que du niveau de réalisme atteint par les sculpteurs; hiératisme, raideur, membres qui se décollent plus ou moins du corps, puis muscles plus ou moins bien placés, et enfin apparition des veines et du mouvement.
- Il raconte la période des Kouros et des Korés (VIIIe av J.C) jusqu’au Discobole de Myron (IIIe av J.C.)
- Oui, et c’est vrai qu’il y a eu des progrès spectaculaires au cours de ces quatre siècles, cela va du hiératisme au déhanchement.
- Oui, au début le Kouros est rigide et puis le discobole s’anime.



- Les sculpteurs modeleurs des siècles précédents ne cherchent-ils pas tous la ressemblance jusqu’au trompe l’œil ?
- Si presque tous.
- Pourtant, ça énerve Rodin de faire la chair lisse comme de la savonnette.
- C’est pour cela qu’il laisse les boulettes d’argile à peine écrasées.
- Oui, comme les Impressionnistes qui laissent leurs touches grossières.
- Il y a des artistes qui fuient la ressemblance ?
- Oui, Picasso et Matisse. Eux, ils sont contents quand on ne reconnaît plus le sujet qui pourrait être placé à côté. Matisse cherche à épurer, c’est-à-dire à supprimer le moindre muscle. Il en arrive à une femme taillée sommairement à la hache dans un arbre, c’est pourtant de l’argile qu’il manipule.
- Les sculpteurs africains et océaniens se sont toujours contre fichus du réalisme.
- C’est bien cela qui a séduit les artistes du début du siècle.
- Qu’entends-tu par « cela » ?
- Je veux parler de l’aspect frustre, épuré et dissonant du corps humain dans la statuaire « primitive », heu, je veux dire « première. »

- C’est vrai que tailler une femme svelte dans un morceau de bois est plutôt surprenant.
- Et que cette belle femme serve de cuillère est encore plus insolite pour un sculpteur européen.

- Depuis cette prise de conscience de la qualité de la statuaire des autres civilisations, les sculpteurs européens se sont-ils détournés du réalisme ?
- Oui, disons qu’après Maillol et ses femmes bien en chair que l’on voit aux jardins des Tuileries, il n’y aura plus personne pour faire du vrai.
- Pas vraiment, par la suite, il y a eu Henry Moore.
- Oui mais ses femmes donnent l’impression d’être en savon bien usé et troué après une vingtaine de douches.
- Il y a aussi Botero et Niki de Saint Phalle avec ses nanas dans les années 1970. Elle a donné toute son énergie à arrondir et à mettre en couleur les femmes. Ses Nanas n’ont aucun détail et font penser aux femmes préhistoriques sculptées que l’on appelle Vénus.
- Ces vénus callipyges sont encore plus grosses que les Nanas aux gros seins de Niki !
- Oui, ce n’est pas sans raison, elles symbolisaient la fécondité. Elles ne représentent pas une femme en particulier, mais la femme qui doit avoir des enfants dans de bonnes conditions, il en va de la survie du clan.
- Et pour Niki de Saint Phalle, cela a la même signification ?
- Oui, on est en plein dans le féminisme…l’avortement va être légalisé…
- On est loin de la sculpture pour décorer son salon. Cette idée de décoration n’a peut-être jamais existé.
- Tu crois ?
- On ne sculpte jamais pour rien, on ne sculpte pas sans intention ; représenter un être humain doit vouloir dire quelque chose.
- Mais moi, si je modèle une femme, je n’ai rien à dire sur le sujet, j’ai déjà une belle femme et deux beaux enfants en bonne santé, je n’ai pas envie de statuette fétiche et votive pour conjurer le sort ou le destin.
- Ça n’a pas toujours été si facile d’avoir des enfants. Recule de quelques millénaires. La plupart des statuettes Jomon au Japon étaient cassées sur le site pour une raison que l’on ignore mais qui a vraisemblablement un rapport avec la fertilité ou les accidents de couches, la mort de la mère, la césarienne.
- C’est vrai qu’aujourd’hui on sait pourquoi un enfant naît et par quoi et même comment.
- Personne aujourd’hui n’aurait l’idée de faire un bébé d’argile pour favoriser ou conjurer l’humeur des dieux à décider de la vie de l’enfant.
- Oui, parce que tout se passe bien la plupart du temps.











vendredi, octobre 19, 2007

Klee/l'Homme labyrinthe.












Cliquez sur les images si vous les trouvez trop petites.


L’Homme, le bonhomme.

Premier épisode :
Le personnage dessiné, peint, gravé.
La représentation humaine bidimensionnelle.
Les bonshommes plats sur le support.





Il existe plusieurs manière de « convoquer » l’idée de « l’être humain » dans notre encéphale.
Plus simplement dit : comment penser à « l’Homme » en général ?
- « Il y a plusieurs manières.»
Campons le décor: vous êtes seul avec un interlocuteur, vous devez trouver un moyen de lui faire venir à l’esprit l’idée de l’homme ou de la femme (de l’être humain en général.)

1- Vous lui dites; « Pense à l’Homme… L’homme en général ! »
Ne lui dites pas ; « … En général ! » il penserait qu’il est général des armées.
L’interlocuteur comprend le sens du mot « l’HOMME* » énoncé par votre voix.
* Le Français n’a malheureusement pas un mot pour désigner l’ensemble « être humain », il faut prendre « Homme » pour, homme et femme. Bref, faisons avec.
2- On peut aussi écrire silencieusement sur un papier le mot « homme » et donner le mot « à voir » à l’interlocuteur qui comprendra le mot s’il sait lire votre langue.

3- On peut lui donner la photographie d’un homme, votre interlocuteur saura encore plus précisément de qui il ne s’agit pas ; « C’est un homme âgé que je ne connais pas, etc. » Attention ! votre partenaire peut devenir intarissable tant il a d’informations sur l’inconnu; il pourrait le décrire avec précision sans le connaître puisqu’il le voit!

4- Autre possibilité : désignez avec le doigt un homme qui se trouve à proximité de vous. Cet homme n’est pas une image ! Votre partenaire comprendra-t-il le concept que vous voulez qu’il sauvegarde ; « c’est un homme »? Ce n’est pas certain.

5- proposez « un gugusse » dessiné au crayon avec seulement deux boules de tailles différentes et quatre bâtons planté dans la grosse boule inférieure. Le partenaire railleur jugera que le dessin est bien piètre, mais que le sujet est bien « l’être humain. »
Il faut bien reconnaître que ce personnage est bas de gamme ! Il n’est même pas le stéréotype d’un personnage. Ce dessin renseignerait presque plus votre partenaire sur votre incurie graphique qu’il ne lui servira à se représenter mentalement l’idée de « l’être humain!»

6- Proposez maintenant le dessin de « l’homme » réalisé par Leonardo lui-même, c’est un cadeau qu’il vous a fait! Vous le présentez à votre partenaire. Au delà de l’admiration de votre locuteur qui loue langue pendante le réalisme du dessin; il comprend qu’il s’agit d’un homme, bras et jambes écartés, inscrit dans un cercle.



Chacun des six exemples avait la même intention; présenter « un homme ! »
À chaque fois, son, mot, images, devrait consigner dans notre ciboulot l’idée de l’Homme qui vous ressemble.
À chaque fois, c’est le même Homme qui est convoqué in petto, avec plus ou moins de précision.
Le mot « Homme » ne donne pas de précision anatomique.
La photographie d’un homme ne peut pas ne pas donner de précision anatomique.



Voici une septième situation.

7- Vous présentez à votre locuteur un dessin aussi schématique que celui du gugusse aux quatre bâtons, mais il provient de Paul Klee ; il est tracé d’un seul trait, le tracé est surprenant, il est épuré, mais le résultat visible, sans hésitation, cette ligne entrecoupée nous entraîne à y voir un homme.
À ce moment, on dit ; « Stop chef-d’œuvre si l’on est pas trop dérouté par l’invention graphique de Klee si loin du stéréotype*! »

*Regarder le dessin stéréotypé d’un homme, sur la porte des toilettes par exemple, c’est être proche de l’écrit, c’est une convention, c’est presque une icône, c’est à la limite de l’écrit et de l’image, ça doit être compris de tout le Monde et vite ; pipi/caca femme, pipi/caca homme, pipi/caca handicapé.

Un personnage de Paul Klee est lu ou compris plus ou moins rapidement, mais pas assez promptement pour une porte des toilettes…

Un personnage de Klee, n’est pas une icône au sens ou nous l’attendons quand nous voyons un ouvrier sur un panneau routier triangulaire.
Passer devant une reproduction épinglée au mur d’un bonhomme de Paul Klee ne nous entraîne pas à nous diriger vers tel ou tel endroit. Cette reproduction, même de qualité médiocre peut nous transporter à regarder ce personnage surprenant. Ce personnage nous saisit parce qu’il n’est pas reconnu immédiatement par notre cerveau qui ne le possède pas en stock. Les lignes de ce dessin finiront par se démêler dans notre cerveau comme étant un bonhomme comme celui des toilettes, celui fait de bâtons, celui de la photo mais il sera tellement plus jubilatoire !



Lorsque que l’on est devant un dessin de Klee, il peut se dévoiler comme aussi intéressant que celui de Léonardo.
Ces deux types de dessins sont fascinants, mais les deux artistes ne jouent pas dans la même cours: cinq tonnes de sable séparent leur œuvres !
La coexistence de ces deux hommes aurait été possible, mais un seul à la fois aurait été apprécié par la société.
Inversons leur ordre d’arrivée !



Nous sommes en 1920 : Vinci serait-il le complice de Klee pour son point de vue différent sur la représentation humaine ? Il y a beaucoup de dessinateurs dans la lignée de Vinci au début du 20ème siècle ! Klee sans détester ces dessinateurs ne s’y intéresse plus, ce sont des ringards, ils peignent ce que les photographes décliquent, on appelle ces artistes, les Peintres Pompiers et s’est vraiment péjoratif.
En revanche, Klee s’intéresse de très près aux civilisations d’Afrique.
Par elles il apprend beaucoup. La simplification astucieuse, surprenante et habile de leur manière de représenter les visages et les corps le stupéfie. Il s’en inspire très largement comme tous les autres artistes de cette époque. Ce sont ceux qui habitent sur vos livres d’histoire de l’art d’aujourd’hui.
Les intellectuels qui n’ont pas regardé les autres civilisations en ce début du 20ème siècle ont disparu de la circulation. Ces peintres Pompiers avaient pourtant à cette époque, en 1920, toutes les commandes officielles des différents gouvernement européens.

Nous sommes maintenant en 1500 : Klee est de passage à Florence chez Vinci avec ses drôles de bonshommes sur son carnet. Ses dessins ne respectent rien de l’anatomie. Les bonshommes de Klee font bien rire Vinci dans sa barbe ; il éclate de rire. Vinci se fout de sa gueule ouvertement. Leonardo, considère que Paul n’est pas mature, qu’il est encore à l’école maternelle et qu’il n’a aucune chance dans le métier vu son âge...
Quoique ! (comme dirait Devos)



Quoique ! Leonardo aurait été capable de confesser, sans pouvoir le formuler, que les personnages de Klee étaient ingénieux, voire habiles.., bien qu’ils ne suivent pas les codes de la représentation en perspective en rigueur ; raccourcis et volumes. Leonardo conviendrait que les bonshommes simples de Paul n’ont rien des stéréotypes des dessins d’enfants. Les dessins d’enfants sont stéréotypés et cela est dû à l’apport des parents et des enseignants mal formés qu’ils rencontrent.
Les deux hommes camperaient sur leur position.
Quand on sait que Hitler et une bonne partie de la bourgeoisie allemande reléguait les dessins de Klee dans la catégorie de l’art dégénérée, on peut comprendre que Vinci cinq siècles avant eusse pu avoir des difficultés à admettre l’art de Klee. Paul Klee qui reculait jusqu’aux Civilisations dites primitives et antiques aussi anciennes que l’art antique égyptien. Pour un homme de la renaissance tout commençait à la Grèce Classique ; antérieurement c’est l’Antiquité dans le sens « pas-encore-fait-par-un-homme-intelligent »
Ces deux types de représentation très éloignée l’une de l’autre ont droit de coexister au 21ème siècle, cela n’était pas possible au 15ème siècle.
L’eurocentrisme de la Renaissance ignorait presque complètement les systèmes d’art des autres civilisations.

Je postule que vous êtes ni Leonard ni Paul Klee ; les deux vous épatent, mais vous n’êtes pas un as en dessin anatomique mais la simplicité du trait de Paul Klee vous humilie.
Il y a trois manières d’améliorer votre piètre dessin du gugusse rondouillard à deux boules. (Décris oralement de cette manière, vous embellissez le bonhomme ! Non,ne l’embellissez, sa représentation picturale est nulle, aucune accroche sentimentale n’est possible !)

Aa- Pour améliorer ce bonhomme, vous travaillez d’arrache pied l’anatomie, le réalisme, le mouvement, les raccourcis des membres dans l’espace. Vous travaillez sous la houlette d’un maître et vous finirez dans quelques années par vous rapprocher de Michel-Ange, de Delacroix.
Bé- Pour améliorer ce bonhomme, vous êtes muni d’un appareil photo numérique ou d’un Ipod vidéo sur le disque dur duquel vous avez une bonne banque d’images d’hommes photographiées et bien répertoriées. Avec cet appareil vous n’avez plus besoin du dessin.
(Vous gagnez deux ou trois années d’étude du dessin d’anatomie classique dispensé par les académies municipales qui se font rares, faute de bons professeurs qui vont devenir aussi unique que les maréchaux ferrants, puisqu’il n’y a que des bagnoles pneutés et peu de débouchés à savoir croquer votre prochain sur un carnet de croquis qui séduit moins qu’une image sur un Ipod vidéo à 60 gigas.)

Cé- Bien aussi fun que l’appareil numérique, cette troisième manière de représenter l’homme devrait séduire, c’est mon souhait, on est au coeur de mon propos.



Voici résumé votre portrait:
« - Vous ne savez pas dessiner d’après nature, vous n’avez jamais appris à dessiner le corps humain dans les écoles d’art, vous êtes même bien content de ne pas y avoir mis les pieds. Vous n’avez pas le don d’observer un ami et de le retranscrire comme un photocopieur sur votre carnet à dessin à spirale, vous avez remisé ce carnet acheté fort chère, vous êtes dégoûté, ce que je propose ci-dessous est pour vous ! »

Je vous propose de faire un tour caricatural dans l’histoire de l’art des Civilisations et du Monde, un voyage dans le Temps et dans l’Espace.
(J’exclus les cinq siècles qui suivent la Renaissance en Europe, de 1400à 1900.)
…Ensuite, vous reprendrez votre carnet de croquis. je pense que vous comprendrez mieux la représentation de l’homme. Vous le dessinerez avec plus de liberté, de décontraction et d’exubérance.»

p’ti a - Pour comprendre, étudions ces drôles de bonshommes du 20ème qui déroutent, qu’ils proviennent de Klee, de Brauner, de Dubuffet, de Basquiat, de Picasso, de De Kooning.
P’ti b - Pour comprendre, étudions ces drôles de bonshommes d’ailleurs ; d’Océanie, d’Afrique, d’Amérique.
P’ti c - Pour comprendre, étudions ces drôles de bonshommes sortie du temps ; Sumer, Babylone, Tassili.



L’évolution du réalisme.

À ses débuts, l’homme dessiné ou peint est immobile, debout de face ou de profil.
Toutes les civilisations antiques ont représenté l’homme sur leurs murs ; c’est l’homme dit « à l’Égyptienne ». L’homme égyptien est plaqué, presque collé sur le papyrus ou sur la paroi. Il est de profil, bien déployé comme une carte routière, ses pieds sont vus de côté comme sa tête, ces deux mains sont bien montrées, le buste et le bassin sont de face, le seul œil est dessiné de face. Ce qui compte pour le spectateur comme pour l’artiste c’est l’inventaire des éléments du corps, tout doit y être, bras avant-bras, main, c’est bien plus que la réalité objective.

Il faudra attendre le dessin sur les céramiques grecques, 450 av J.C pour voir dessiner des hommes entrelacés qui luttent donc cachés en partie, mais ce sont vraiment avec les maîtres de la Haute Renaissance que l’homme dessiné se déhanche, se recroqueville, s’élance, se vrille.
Ensuite arrive Picasso, Klee et d’autres.


Je suis au cœur du sujet, c’est à ces « bonshommes », souvent simples, toujours créatifs, surprenants, quelques fois déroutants que nous devons nous intéresser.

Ils ont été dessinés par des artistes connus du 20ème et des artistes inconnus des autres continents et des autres civilisations. Ces types de dessins sont les plus nombreux.

Somme toute, avec le recul, on peut se demander si ce ne sont pas les cinq siècles qui suivent la Renaissance avec son système de représentation rigide qui ne serait qu’une pichenette dans l’histoire de l’humanité des bonshommes représentés sur une surface plane ?



L’analyse d’un dessin illustrerait bien ces longs propos sans image!
Un homme de Paul Klee ?






Retournez* dans tous les sens ce personnage et vous serez moins certain d’y voir un personnage !
*Vous ne pourriez pas faire cela au musée !



De côté vous découvrirez un autre personnage. Tournez encore votre photocopie, mais ne cherchez plus un personnage. Essayez plutôt d’oublier celui que vous venez de voir. Néanmoins, je me suis amusé à chercher d’autres personnages; j’ai déjà trouvé sept personnages différents.


Reprenons le premier. Vous pouvez le voir assis à l’Égyptienne le pied et la main bloqué sur le côté droit. Il s’est retourné sur son siège. Le pupitre d’école (ou le pupitre du scribe) est en coupe sur la gauche. Que cet homme soit assis est facilement perceptible grâce au pictogramme à angle droit qui rappelle une chaise vue de profil.
Pourtant, franchement, au premier abord ce réseau de lignes plus ou moins ombrées n’a rien d’un bonhomme anatomique juste. Toutefois, en se repérant sur la double petite branche de la partie supérieure déchiffrée par tout le monde comme étant les yeux et le nez, le reste du corps va dépendre de cela. Mais la lecture du contour peut être différente d’un déchiffreur à l’autre ; si l’œil lambda suit tant bien que mal une épaule sur la droite, ce même œil a bien des difficultés à trouver la main. Repérer les doigts est impossible ! On peut accepter cette ouverture vers le haut sans doigts. L’autre bras est plus difficile à suivre.
Etc.



Comment ce labyrinthe de lignes grises qui se rencontrent, se jouxtent, se coupent ou s’arrêtent sans crier gare forme cette scène d’écriture ? Un homme, un pupitre, une chaise et peut-être une grande feuille de papier que cet homme tiendrait entre ses mains ?
Comment ce dessin fait d’angles droits, de légères courbes et de triangles ouverts est assimilé par notre cerveau comme étant un personnage ? Le cerveau reconnaît plus ou moins les différentes parties d’un corps tel qu’il l’a appris progressivement ; pour les bras, les jambes, Ok ! Pour l’abdomen et le torse c’est plus indéterminé. Ce sont sans doute les deux yeux (plutôt des paupières) qui induisent le plus la lecture.
Paul Klee sait qu’il est à la limite de la représentation, il sait qu’il trompe, mais il sait nous faire voir ce qu’il veut que l’on voit. Il travaille sur la limite de notre cerveau à ne plus percevoir un personnage lorsqu’il change légèrement quelques lignes.



Pictogrammes pour tous.
Les deux dessins de l’homme et de la femme que l’on trouve sur la porte des WC ne nous renseignent pas beaucoup sur l’anatomie des deux êtres humains. Aujourd’hui la plupart des femmes sont en pantalon, or c’est une jupe triangulaire qui donne le sexe sur le pictogramme. Ces autocollants en légers reliefs sont collés à hauteur d’œil sur les portes ; par convention, vous poussez celle de gauche ou celle de droite.
Il est question d’un langage à voir et à comprendre, que l’on accepte comme un code universel. Ces simples pochoirs noirs nous renseigne mieux que des images photographiques.
Ces pictogrammes se situent entre le mot et l’image, c’est précisément le sujet de cette réflexion sur l’homme dessiné.



Dans l’espace, on envoyé les dessins des deux êtres en question, ils sont nus ; ils sont reconnaissables par un terrien qui connaît l’anatomie. Il n’est pas certain que cela fonctionne pour un extra-terrestre, c’est pourtant bien pour eux que ce dessin est envoyé dans la sonde spatiale. Ce dessin figure au générique de l’émission de Ardisson «Salut les terriens!»





Aux jeux Olympiques de Mexico, un graphiste a mis au point tout un système de personnages faits de bâtons arrondis très créatifs ; la direction et la taille du large bâton noir changent. Les athlètes du monde entier qui ni lisent ni ne parlent la même langue, grâce à ce système, savent où se rendre : à la piscine, au saut en hauteur, à l’escrime, etc.
Cette manifestation olympique, véritable tour de Babel, est le lieu idéal pour tester ce type de langage pictographique presque abandonné depuis le 1ème millénaire de l’ère d’avant J.C.

Autant l’homme sportif apparaît partout à mexico autant l’homme et la femme préhistorique n’apparaissent pratiquement pas dans l’art pariétal.
Le haut niveau de représentation auquel sont arrivés les peintres de Lascaux 12 000 ans av J.C est époustouflant ; certaines vaches sont en mouvement ! On peut parler de profondeur entre deux pattes avant.
Pourtant, les peintres de la préhistoire ne dessinent pas d’hommes, encore moins l’homme en mouvement. Pourquoi ?
Ont-ils eu peur de la force émotionnelle des dessins d’homme et de femme sur leurs parois ?
L’image a un pouvoir qui a été craint.



Il y a quelques exceptions. À Lascaux, un homme schématique semble avoir les tripes à l’air éventré par le bison qui lui fait face, non, c’est le contraire. Il a lâché son lanceur de flèches à tête d’oiseau, cet homme est une des rare scènes avec un homme représenté, il semble être en érection ?
L’image préhistorique est d’origine chamanique, l’images est mystérieuse, magique trompeuse, elle prête à conséquence.
Les artistes pouvaient peindre les hommes aussi bien qu’ils peignaient les animaux, c’est incontestable. On a sans doute craint de représenter l’homme de peur de le voir prendre vie ou de le faire mourir ; on ne connaîtra sans doute jamais la véritable raison. L’animal dessiné sur la paroi signifiait vraisemblablement que le chasseur se l’appropriait en dessin par anticipation pour la chasse du lendemain.

Quand l’homme a commencé à se représenter dans l’Antiquité, il n’y a plus eu que pour lui sur les parois, l’animal est passé en arrière plan ; la chasse ne posait plus de problème, les armes s’étaient améliorées, on ne demandait plus à l’animal la permission de le tuer.

Le premier dessin d’un homme.
Quelle envie a bien pu pousser un homme a vouloir se représenter, se dessiner sur une feuille plate alors que tout lui indiquait qu’il n’était lui-même que volume, un volume de chair au gros ventre et au verso athlétique, un visage pile et des cheveux face ?
Ce n’est pas un homme qui a eu cette envie, c’est une jeune femme qui eu pour la première fois l’idée de représenter son amoureux.
Il se tenait debout devant l’âtre, il partait pour la guerre, elle eu l’envie de garder le contour de son ombre avec un charbon de bois et de s’étendre dessus pour penser à lui. C’est une légende grecque, elle est belle !



Picasso ne peut pas rester immobile face à son modèle.
Picasso au début du 20ème siècle se déplace autour de son modèle tout en le dessinant; il dessine ce qu’il voit et assemble les morceaux entre eux alors que les points de vue sont différents, ça fait une drôle de femme. Il démontre que l’on peut se défaire de ces habitudes photographiques. On peut désapprendre à voir le modèle en peindre borgne dont l’œil est à distance fixe. Picasso relie comme il peut tout ce qu’il voit lors de ses déplacements.
Le résultat est plus proche de la séquence filmique que de la représentation photographique.
Picasso a pourtant appris à dessiner dans une école d’art, il est un direct descendant des maîtres de la Renaissance; un seul point de vue, une seule action dans un temps arrêté. Picasso s’est défait de ses habitudes, il se met dans la marge.
Picasso est un Michel-Ange qui s’est rebellé. Michel-Ange aurait connu la photo argentique, qu’il se serait sans doute détourné de sa passion du dessin pour les raccourcis audacieux, les pauses baroques complexes, les hanches qui se tordent et la ligne des épaules qui renfoncent la torsion, mais il aurait gardé son pouvoir expressif.


Fin pour finir en queue de poisson: ecce homo, le mot homme, le dessin pictographique et la représentation hyperréaliste de l’homme ont le droit de cité, ils ont des raisons différentes d’exister ou de coexister.
Chacune de ces trois possibilités est utilisée pour des raisons différentes à des moments différents : musée, WC, identité, etc.












vendredi, juillet 06, 2007

Grunevald/Retable/Boulot!













Colmar début juin 1511.






Moi Grünewald je doute.
Je ne sais plus si je dois peindre ou ne pas peindre cette importante commande, cette grande peinture à plusieurs volets : La situation actuelle est incertaine.
La période est problématique.
Luther et Calvin dénoncent dans leurs sermons le culte des images qui est abêtissant:
« La peinture en tant qu'image de dévotion est dangereuse la peinture en tant que telle est indigne du Chrétien. »


Est-ce qu'en entendant cela dans les rues je peux encore peindre mon retable d'église ?

Le pape Grégoire disait en son temps (IX ème), que les images étaient la Bible des illétrés. Aujourd'hui, Calvin dit que c'est le livre des idiots, le confirme. Il ajoute que l'image est un docteur de mensonges et que tout ce que les hommes apprennent de Dieu par les images est frivole et abusif.




Pourtant au XIIIe siècle, Saint Thomas d'Aquin incite à recourir à la peinture et à la taille de la pierre et du bois pour mieux diffuser le message d'église, mais c'est vrai qu'il le fait avec beaucoup de réserve, presque à reculons parce qu'il y a toujours eu une opposition sourde au « culte des images » ; beaucoup de soi-disant Chrétiens sont accusés de pratiquer l'idolâtrie païenne. Ce sont des païens qui adorent les images comme des réalités croyants qu'elles contiennent quelque chose de divin à cause des réponses que les démons donnent par elle.

Il est pourtant écrit clairement dans la Bible : « tu ne feras pas de statue ni aucune image. »
Et pourtant on doit une adoration du Christ en raison de sa divinité... et non en raison de son humanité !
« Mais l'image de sa divinité imprimée dans l'âme n'a pas droit à une telle adoration et bien moins encore l'image corporelle qui représente son humanité. »
Saint Thomas d'Aquin médite, il est en pleine contradiction il hésite.
« On peut rendre honneur à l'image du Christ quand elle atteint le prototype. » Disait Saint Basile. C'est-à-dire quand l'image atteint le modèle et non l'image elle-même...
Quand nous rendons une adoration à l'image du Christ, ce n'est pas à l'image elle-même que nous nous adressons ,mais à la réalité qu'elle représente. On pourrait tomber dans l'erreur, l'adoration pourrait s'arrêter à l'homme en tant que réalité et ne pas porter cette adoration jusqu'à Dieu dont il est l'image.

Moi Grünewald, Je ne veux pas que ma peinture soit un objet d'adoration.
Si je peins ce retable , ma peinture devra être puissante, elle devra vous transporter ailleurs que sur la réalité de la terre.
Je vais tout exagérer jusqu'à l'incrédibilité...
Je vais travailler le contraste entre l'aspect terrestre est ma profonde réalité spirituelle...

Je vais choisir un morceau de l'Évangile selon saint Matthieu et saint Luc : peindre la crucifixion. Selon eux, le ciel obscurci de l'instant de la mort du Christ résulte d'une éclipse de soleil.

« Mon dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »


Je vais essayer de faire agir cette parole au-delà de la mort du Christ, une parole qui, vue par l'homme pourra être ressentie comme l'expression du doute et de l'éclipse de l'âme dont l'illumination sera improbable et lointaine.

Je veux frapper très fort les esprits.


Par ma peinture, je vais essayer de faire ressortir tout le rapport cosmique de la crucifixion.
Je vais m'appuyer sur l'hymne du Vendredi saint composé par Abélard : « pendant que le vrai soleil souffre le martyre de la croix, souffre avec lui les astres insensibles. »
Ça ne va pas être facile à peindre une idée de cette ampleur !
C'est même très prétentieux !
Je connais les textes, je connais la peinture, ça devrait marcher.

Le vais peindre un fond très noir, une lumière crucifiée, crucifiée par ceux qui se glorifiaient de la voir.
"Quel aveuglement ! Ils tuaient la lumière, mais la lumière en croix illumina les aveugles ! "

(Lorsque vous serez devant cette crucifixion, vous fermerez les yeux pour voir si ça fonctionne.)



« La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point reçue. » Saint-Jean.

Toutes ces phrases d'exaltés dans ma tête devraient m'aider à peindre un retable extraordinaire.
J'aimerais que ma peinture puisse vous faire entendre ces phrases à travers les panneaux que je vais peindre.

... Je vais aussi insister sur la douleur qui environne le Christ, j'aimerais réduire sa passion qu’à la douleur physique humaine qu'il a ressentie excluant ainsi toute pensée métaphysique.
C'est plus facile à dire qu'à faire.
Je pense que Paracelse peut m'y aider. C'est un alchimiste et médecin suisse. Il pense qu'il y a une correspondance entre le monde extérieur, (le macrocosme) et les différentes parties de l'organisme humain, (le microcosme). Je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire avec cela, mais c'est une bonne piste.

Mais je me dois de réfléchir encore plus avant de commencer à peindre.
J'ai un ami, Dürer qui a bien connu Léonard de Vinci en Italie ; tous les deux ont découvert beaucoup de nouveautés en peinture mais en vérité, je ne sais pas très bien lesquelles, en fait, je ne les comprends pas bien ; je suis encore un gothique, un moyenâgeux.
(Tiens, j'ai appris que le vieux Léonard de Vinci était remonté en France avec François Ier.)

Cette commande de retable n'est pas une commande comme les autres, l'époque est agitée, je ne sais pas très bien quoi en penser, je suis un fervent catholique, un mystique.
L'église inspire un profond dégoût a beaucoup de monde, moi-même je le pense ; je vais essayer de changer l'église, il faut que je retrouve la pureté de l'église catholique.
Il y a quelques années, en 1509, Érasme dénonçait les exactions des gens d'église et il attaquait directement le Pape et les évêques.
« Il faut chasser de l'église les Princes qui la couvrent de honte par leur coupable dérèglement. »
Grâce à l'imprimerie les nouvelles faisaient vite leur chemin.
(On peut même dire que Luther et Calvin propagent une idolâtrie du livre pire que celle de l'image ! )
Je ne sais plus quoi penser : images ou écritures ?
Je sais que je suis meilleur en peinture.



Seule compte la foi, disait Luther, « les oeuvres peintes sont inutiles et les bourgeois n'iront pas au paradis plus vite que les autres, il est inutile d'acheter des années de purgatoire. Arrêter le trafic des indulgences qui ne fait qu'enrichir le pape et les évêques ! »
Déjà à certains endroits les images, les peintures et statues qui représentent la vierge et les saints font déchirées et détruites.

J'aime peindre. Il n'est pourtant pas très prudent d'entreprendre mon prétentieux projet de peinture dans un tel contexte socio-religio-politique.

De plus.
En Pologne Copernic pense que le soleil est immobile et que la terre tourne autour et que le mouvement des étoiles n'est qu'apparent, ce qui est en parfaite contradiction avec la Bible qui met la terre ou centre de l'univers !
Comment ne pas tenir compte d'une telle nouveauté ?
Mais je n'y crois pas.
Pour ma part, je crois au système de Ptolémée qui tient le coup depuis presque vingt siècles.
C'est un système de boules encastrées les unes dans les autres comme des boîtes gigognes.
La terre est au centre de l'univers entourée par l'air en haut et par le feu en bas.
Puis viennent les sept sphères réservées aux planètes, la huitième porte les étoiles. La neuvième est cristalline.
La dixième est mouvante. Ensuite on arrive au ciel, habitacle de Dieu et de tous les bienheureux.
C'est ça la vérité !
Je vais vous peindre cela, je vais opposer l'obscurité à la lumière.
Sur la terre le jour de la crucifixion, tout est sinistre...
... Mais lors de la résurrection ça va être un vrai feu d'artifice.
J'aurais besoin de belles couleurs et de beaux glacis.

Matthias Grünevald.

…qui va se mettre au travail.













mercredi, mai 16, 2007

Vélasquez/Miroir/Ménines

Conseil: Le texte peut être agrandi.
- sur PC; menu: affichage, puis taille du texte.
-sur Mac; Safari, puis Présentation, agrandir la taille du texte.


















« Vélasquez est le plus grand peintre du monde. »


On comprend que Picasso puisse dire cela puisqu’ils sont concitoyens espagnols à quelques siècles de distance.
Tout de suite après Vélasquez, Picasso place Goya.
« Goya est le deuxième plus grand peintre du monde ! »
HI ! Hi ! Goya est aussi espagnol !
Un peintre Espagnol en 2000 placera ces trois peintres dans l’ordre historique descendant :
Picasso (1920).
Goya (1800)
Vélasquez (1640)
Vélasquez, lui, plaçait un vénitien en tête :
« le plus grand, c’est Le Titien » (1550).

« Vélasquez se mit à peindre à l’esbroufe et, à des gens qui lui demandaient pourquoi il refusait d’utiliser une technique agréable et soignée qui lui aurait permis de rivaliser avec Titien, il répondit avec esprit qu’il préférait être le premier dans le bâclé, plutôt que le second dans la délicatesse » 1651.

Un siècle après la mort de Vélasquez, un grand peintre de passage à Madrid, scotché devant « Les fileuses » de Vélasquez bredouilla quelques phrases ; « Ce tableau est fait de telle manière qu’on perd l’idée d’une intervention de la main ; on a l’impression qu’il a été peint par la seule volonté de Vélasquez.»

Encore un siècle plus tard un peintre français griffonne un imèle;
« Mon cher ami, que je vous regrette ici et quelle joie c’eût été pour vous de voir ce Vélasquez qui à lui seul vaut le voyage ; les peintres de toutes les écoles qui l’entourent au musée de Madrid sont tous des chiqueurs par rapport à lui. Vélasquez est le peintre des peintres ! »

Il n’est donc pas nécessaire d’être espagnol comme Picasso pour le considérer comme le plus grand peintre. Manet est le plus admiratif, la touche de Manet se rapproche de celle de Vélasquez alors que celle de Picasso n’a aucun point commun avec celle de son peintre chouchou…



Vers la fin de sa vie Picasso (1950) a peint des dizaines de fois le tableau en entier et moult détails le plus célèbre de Vélasquez, « Les Ménines».
« Les Ménines» signifie « servantes », qui vient du portugais « petites dames » ; « naines », il y en a beaucoup à la cour d’Espagne, les garçons nains sont des bouffons qui peuvent tout se permettre, les filles sont les servantes des princesses. Regardez celle qui nous regarde, Vélasquez n’hésite pas à la peindre disgracieuse, c’est intriguant.





Picasso a décliné le tableau célèbre, « les Ménines » à sa façon, comme une punition ou comme une énigme qu’il chercherait à déchiffrer ; on reconnaît bien les formes triangulaires et les couleurs franches cernées par le trait noir de Picasso. Il en est ainsi sur toutes ses recherches ou ses punitions à rendre. Tout ce beau monde domestique, ecclésiastique, animal et royal, est passé au barbouillé de son pinceau :
L’enfant qui s’apprête à poser le pied sur le chien qui dort.





…Le personnage au fond de la pièce dans l’embrasure de la porte, on ne sait pas s’il va entrer ou s’il veut sortir. Il y a beaucoup de lumière derrière lui comme si c’était la lumière du paradis qui irradiait. Cette irradiation « de-je-ne-sais-où », contraste beaucoup avec la moitié supérieure sombre et pesante de cette grande toile de 3,18 X 2,76 mètres.




C’est assez incroyable, mais pour ses contemporains sans doute assez ringards (académiques !) Vélasquez n’était pas un très grand peintre puisqu’il bâclait. Il avait fait la découverte la plus impopulaire de toutes les inventions en peinture; « la réalité peinte se différencie du mythe peint en ce qu’elle n’est jamais achevée.»
Autrement et plus clairement dit :
« Il faut peindre un mythe gréco-romain ou une scène religieuse de manière très précise puisque son histoire est finie, elle appartient au passé, mais lorsque que j’ai devant moi l’infante Marguerita, je ne dois pas l’empeser dans la peinture comme une araignée dans son cocon. Je dois la libérer. Je dois lui permettre de continue sa vie ! »
Les spécialistes de Vélasquez disent qu’il peignait l’air, l’atmosphère.
Cette expression signifie que l’effet aérien de sa peinture vient simplement de l’indécision des contours et des surfaces qu’il a la hardiesse de laisser non finis. Sa touche est désinvolte, fluide, ce qui n’était pas admis par ses contemporains !
Aujourd’hui encore, beaucoup d'aficionados de la peinture du dimanche préfèrent le méticuleux à l’aisance, le besogneux à la calligraphie, le précis à la sprezzatura.
Le non-fini élégant est le summum en peinture qu’on se le dise !
Le mieux pour s’en convaincre, serait de regarder une toile de ce maître espagnol de près… mais il n’y en a pas beaucoup en France.



Néanmoins, sur une bonne reproduction, j’ai pu comprendre la touche de Vélasquez. J’ai agrandi la fleur que l’infante Marguerite porte sur le buste de sa robe blanche. À une certaine distance, c’est bien une rose de tissu qu’elle porte sur son vêtement. Cette rose, lorsqu’elle est agrandie au maximum sur cet écran, ne présente qu’une vingtaine de coups de pinceau passés rapidement et organisés de manière indéterminée et abstraite, c’est en tout cas l’effet que cela donne.
Cette fleur est plus une écriture extrême-orientale en rouge noir qu’une fleur réaliste du XVIIe siècle espagnol ! Il en est de même pour toutes les parties vestimentaires du tableau. En contrepartie, les visages sont plus détaillés, la peinture y est plus précise.




« Les Ménines. »

Scannons ce grand tableau de nos yeux dévorants. Ce n’est pas fréquent de voir un peintre du XVIIe au travail sur son chevalet. S’il figure dans sa peinture, où est celui qui peint ce que nous regardons ?
La peinture n’est ni automatique ni instantanée. Il y a bien eu un peintre devant ce tableau aussi vrai qu’il y a toujours un photographe derrière le négatif. Quel ordinateur a pu déclencher le rideau obturateur ?
Qui peint le tableau que nous sommes en train de regarder puisque le peintre est présent sur le tableau, il est en face de nous ?




- « Alors, il y aurait deux peintres ! »


Oui, c’est une possibilité, le peintre peint son collègue en train de le peindre.
Il pourrait aussi y avoir un grand miroir devant le peintre que nous voyons, il serait en train de peindre ce qu’il voit dans le miroir, donc lui-même.
Cela arrive, lorsqu’un peintre fait son autoportrait. Il se met face à un miroir, il devient gaucher sur la toile peinte. Il se place nécessairement assez près du miroir de manière à s’y voir précisément, or ici, notre peintre est à une assez grande distance de cet hypothétique grand miroir.
Il n’y a aucun doute, c’est Vélasquez qui est dans le tableau, on connaît son visage par d’autres autoportraits.
Il a l’outrecuidance de se représenter en train de peindre un tableau que l’on ne verra jamais. On le voit devant une grande toile que l’on ne voit qu’en partie, dont on ne voit que le châssis, on ne saura jamais ce qu’il y a sur le recto de la toile. Nous remarquons que le peintre regarde en face de lui. Il regarde posément ce qu’il est en train de peindre, il est détendu, il ne fixe pas sa proie à peindre.
Quand nous regardons un tableau, nous spectateurs, nous sommes toujours devant de la scène à observer, là où le peintre s’était placé pour peindre.
Spectateurs au Prado , sur écran ou sur repro papier, nous sommes souvent l’œil du peintre borgne lorsqu’il a quitté son œuvre. Il nous laisse à voir ce qu’il vient de révéler sur sa toile, il a disparu, nous le remplaçons devant la toile.
Ce n’est pas le cas sur ce tableau énigmatique, le peintre est toujours là, le pinceau en suspension, le regard dans le vague sans doute en train d’apprécier sa notoriété. Il n’est pas absorbé par l’alchimie de sa touche en rapport à son regard de géomètre rapace.
Habituellement, le peintre quitte son chevalet et nous demande de nous installer à sa place, ainsi les modèles peuvent vaquer à leurs occupations.
Or, dans ce tableau, le peintre est en face de nous, c’est troublant.

Dans les tableaux de genres, fréquemment quelques personnages représentés nous regardent, c’est le cas dans ce tableau on peut compter les personnages qui nous dévisagent.

- « Ce serait donc nous les modèles de Vélasquez ? »

Vélasquez serait encore en train de nous peindre trois siècles plus tard; nous serions sur sa toile !
Quelle ironie sur la nature de l’illusion en peinture !
Nous ne saurons jamais qui est sur le verso de la toile située à côté de Vélasquez.
Mais finalement, regarde bien, il est en train de peindre des personnes qui se situent à côté de toi.
Tu es sur le pas de la porte en symétrie parfaite avec le majordome situé dans l’embrasure de la porte éclairée d’en face. Tu n’es pas encore entré, tu surprends la scène, les servantes qui observent les modèles qui posent pour le peintre qui nous fait face.
Mais, tu ne vois pas les modèles qui posent puisque tu n’es pas encore entré par la porte ouverte.
C’est le roi et la reine que Vélasquez qu’est en train de peindre. Ils sont côte à côte. L’infante, les Ménines (les servantes) le chien, les ecclésiastiques sévères sont venus tenir compagnie au couple royal et observer la scène en train d’être peinte.
Ce groupe de personnages situé en face de nous aurait pu tout aussi bien reculer un peu, c’est-à-dire s’installer juste derrière le peintre, pour observer la technique, l’adresse et la façon du peintre.
c’est bien sûr ce que nous ferions tous aujourd’hui, cela aurait été plus édifiant que de regarder benoîtement le couple immobile, pourtant royal.

Miroir.

Sur le mur au fond et à droite il y a un certain nombre de tableaux foncés sur lesquels on ne distingue que des formes sombres. Un seul est beaucoup plus lumineux, il est situé entre le peintre et le personnage qui semblent entrer ou sortir.
La dizaine de tableaux est dans la pénombre du plafond et de ce fond de salle du palais de l’Alcazar, mais ce tableau juste au-dessus de la tête de Marguerita est plus lumineux, c’est un miroir qui reflète la lumière du devant, de la droite.
Toutes les analyses de ce tableau disent bien que c’est un miroir. Vélasquez est sans doute un bon mathématicien pour faire refléter le portrait du roi de la reine bien centré bien cadré dans ce miroir. Prenez un miroir, installez-le à une dizaine de mètres de ce que vous avez envie de le voir refléter, cela doit être extrêmement précis, l’angle doit être exact, c’est encore plus difficile de le fixer au mur de façon à ce qu’il reflète la scène que vous avez choisie.
C’est bien le roi et la reine qui sont représentés sur ce miroir. On reconnaît bien le roi, Vélasquez l’a peint de nombreuses fois, il a toujours la même tête un peu molle, la lèvre épaisse.
Le miroir pourrait tout aussi bien refléter ce que Vélasquez a déjà peint sur sa toile, celle que l’on ne voit pas, nous ne voyons que le verso, mais le miroir reflète plutôt et sans doute les deux personnages royaux placés contre le mur, ils posent pour la postérité.
Ce qui est cocasse, c’est qu’il pose pour l’histoire, mais l’histoire ne gardera d’eux que le petit tableau miroir, ce petit mouchoir de poche, ce miroir situé presque au centre de ce grand tableau presque carré de trois mètres sur trois.
Comme si ce petit tableau important nécessitait un large cadre sombre de plus d’un mètre pour le mettre en valeur.
Ce que nous retenons aujourd’hui ce n’est pas le reflet du roi et de la reine, mais cette scène compliquée de personnages en train de participer à l’élaboration de ce tableau casse-tête.



Cela semble être une occupation bien agréable pour l’infante et les servantes. Même le chien s’y trouve bien, il semble être là depuis des lustres, ça ne va pas durer, le garçon est sur le point de le réveiller à coup de pied respectable.

Outrecuidance !

Ce grand tableau ne pourrait être que l’autoportrait prétentieux du peintre lui-même qui a prétexté la peinture des monarques pour se peindre lui-même plus grand qu’eux, plus importants avec sa croix rouge sur la poitrine.
Dans une certaine mesure il a bien réussi son coup de théâtre puisque aujourd’hui ce que nous apprécions le plus, c’est la prouesse du peintre, l’originalité de son système, son astuce à être devenu le personnage principal à la fois dans le tableau et à travers l’histoire.
Il est à la fois le grand peintre de Picasso et le sujet du tableau du Prado.



- « Cette conclusion est injuste ! »

C’est vrai, le personnage principal est incontestablement l’infante, son visage doux et blanc, sa robe blanche et sa rose calligraphiée.
Son regard se situe à l’intersection de deux diagonales qui couperaient la moitié inférieure de ce tableau.


- « La moitié supérieure du tableau est sombre, elle ne sert à rien, elle ne donne aucune indication importante sur l’événement qui se déroule dans la partie inférieure... »

Il ne faut pas dire comme cela ! Certaines mauvaises reproductions ne présentent que la partie inférieure du tableau et c’est plutôt ridicule; c’est ce plafond haut et sombre qui dirige le regard vers les robes cloches écrasées vers ce sol lumineux. C’est cette partie brunâtre qui entraîne le regard à s’interroger sur ce qu’il y a en face du groupe de personnages. En face j’y suis, sur ma droite, il y a le couple royal.

La lumière tombe à 45° par la grande fenêtre de gauche s’est pratiquement l’unique source de lumière. La toile de dos peinte de Vélasquez n’est sans doute pas beaucoup éclairée, mais ça n’a pas d’importance puisqu’il fait semblant de peindre dessus: elle est illusion, vu qu’elle est peinte sur la vraie toile composée de trois morceaux dans le sens de la longueur. Je parle de la reproduction de la vraie toile de Madrid que nous sommes en train de regarder avec circonspection.

C’est la jeune femme naine et disgracieuse qui a le regard le plus insistant, les autres regards se dirigent vers nous mais les angles sont assez différents et ne nous permettent pas de dire exactement ce qu’ils regardent, nos pieds, la chevelure de la reine, la lèvre épaisse du roi, notre arrivée sur la gauche.
Il faut faire le plan de cette salle pour bien comprendre comment nous sommes tous disposés dans cet espace.



Les différents modèles n’ont sans doute jamais été ensemble à ces endroits-là, ça ne s’est pas passé comme pour une photo de famille. Vélasquez a passé beaucoup de temps à peindre cette toile. Il ne faut donc pas imaginer que les figurants se soient tous installés régulièrement devant le maître à heures régulières et de journée en journée. Ils n’ont pas défilé assidûment devant le peindre. Il avait fait des croquis préparatoires, des croquis de repérage et basta. Il savait reprendre là où il en était la veille sans faire revenir tout ce beau monde.
Imaginez être la jeune fille qui propose de l’eau fraîche aromatisée à l’infante Marguerita, vous ne tiendriez pas longtemps la génuflexion.
Et ce garçon en déséquilibre sur la droite…
Examinons le regard de l’infante ; droit sur nous, un peu espiègle, un peu capricieux. Elle est douce et fragile malgré une robe empesée qui la bride dans ses mouvements.

Summum.

Vélasquez, comme Raphaël, comme Le Titien, était capable de saisir une expression de visage au 100e de seconde, c’est tout à fait prodigieux, impossible à imaginer pour nous aujourd’hui : un véritable appareil photographique capable de développer lui-même la photo sur la toile, un miracle qu’il répétait régulièrement.
Plus fort encore. Il est probable qu’il ait peint le magnifique portait du Pape Innocent X de mémoire, c’est vrai qu’il le connaissait bien, mais de là à choisir une expression !
C’est impossible à croire.




_________________





Vous avez pensé à agrandir certaines images!


Attention! Si vous voulez voir les vraies reproductions des Ménines et des autres peintures de Vélasquez, allez sur d'autres sites, il y en a beaucoup! je ne veux pas faire double emploi avec mes images. Moi, je retravaille toujours les images plus ou moins.