vendredi, juillet 06, 2007

Grunevald/Retable/Boulot!













Colmar début juin 1511.






Moi Grünewald je doute.
Je ne sais plus si je dois peindre ou ne pas peindre cette importante commande, cette grande peinture à plusieurs volets : La situation actuelle est incertaine.
La période est problématique.
Luther et Calvin dénoncent dans leurs sermons le culte des images qui est abêtissant:
« La peinture en tant qu'image de dévotion est dangereuse la peinture en tant que telle est indigne du Chrétien. »


Est-ce qu'en entendant cela dans les rues je peux encore peindre mon retable d'église ?

Le pape Grégoire disait en son temps (IX ème), que les images étaient la Bible des illétrés. Aujourd'hui, Calvin dit que c'est le livre des idiots, le confirme. Il ajoute que l'image est un docteur de mensonges et que tout ce que les hommes apprennent de Dieu par les images est frivole et abusif.




Pourtant au XIIIe siècle, Saint Thomas d'Aquin incite à recourir à la peinture et à la taille de la pierre et du bois pour mieux diffuser le message d'église, mais c'est vrai qu'il le fait avec beaucoup de réserve, presque à reculons parce qu'il y a toujours eu une opposition sourde au « culte des images » ; beaucoup de soi-disant Chrétiens sont accusés de pratiquer l'idolâtrie païenne. Ce sont des païens qui adorent les images comme des réalités croyants qu'elles contiennent quelque chose de divin à cause des réponses que les démons donnent par elle.

Il est pourtant écrit clairement dans la Bible : « tu ne feras pas de statue ni aucune image. »
Et pourtant on doit une adoration du Christ en raison de sa divinité... et non en raison de son humanité !
« Mais l'image de sa divinité imprimée dans l'âme n'a pas droit à une telle adoration et bien moins encore l'image corporelle qui représente son humanité. »
Saint Thomas d'Aquin médite, il est en pleine contradiction il hésite.
« On peut rendre honneur à l'image du Christ quand elle atteint le prototype. » Disait Saint Basile. C'est-à-dire quand l'image atteint le modèle et non l'image elle-même...
Quand nous rendons une adoration à l'image du Christ, ce n'est pas à l'image elle-même que nous nous adressons ,mais à la réalité qu'elle représente. On pourrait tomber dans l'erreur, l'adoration pourrait s'arrêter à l'homme en tant que réalité et ne pas porter cette adoration jusqu'à Dieu dont il est l'image.

Moi Grünewald, Je ne veux pas que ma peinture soit un objet d'adoration.
Si je peins ce retable , ma peinture devra être puissante, elle devra vous transporter ailleurs que sur la réalité de la terre.
Je vais tout exagérer jusqu'à l'incrédibilité...
Je vais travailler le contraste entre l'aspect terrestre est ma profonde réalité spirituelle...

Je vais choisir un morceau de l'Évangile selon saint Matthieu et saint Luc : peindre la crucifixion. Selon eux, le ciel obscurci de l'instant de la mort du Christ résulte d'une éclipse de soleil.

« Mon dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ? »


Je vais essayer de faire agir cette parole au-delà de la mort du Christ, une parole qui, vue par l'homme pourra être ressentie comme l'expression du doute et de l'éclipse de l'âme dont l'illumination sera improbable et lointaine.

Je veux frapper très fort les esprits.


Par ma peinture, je vais essayer de faire ressortir tout le rapport cosmique de la crucifixion.
Je vais m'appuyer sur l'hymne du Vendredi saint composé par Abélard : « pendant que le vrai soleil souffre le martyre de la croix, souffre avec lui les astres insensibles. »
Ça ne va pas être facile à peindre une idée de cette ampleur !
C'est même très prétentieux !
Je connais les textes, je connais la peinture, ça devrait marcher.

Le vais peindre un fond très noir, une lumière crucifiée, crucifiée par ceux qui se glorifiaient de la voir.
"Quel aveuglement ! Ils tuaient la lumière, mais la lumière en croix illumina les aveugles ! "

(Lorsque vous serez devant cette crucifixion, vous fermerez les yeux pour voir si ça fonctionne.)



« La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point reçue. » Saint-Jean.

Toutes ces phrases d'exaltés dans ma tête devraient m'aider à peindre un retable extraordinaire.
J'aimerais que ma peinture puisse vous faire entendre ces phrases à travers les panneaux que je vais peindre.

... Je vais aussi insister sur la douleur qui environne le Christ, j'aimerais réduire sa passion qu’à la douleur physique humaine qu'il a ressentie excluant ainsi toute pensée métaphysique.
C'est plus facile à dire qu'à faire.
Je pense que Paracelse peut m'y aider. C'est un alchimiste et médecin suisse. Il pense qu'il y a une correspondance entre le monde extérieur, (le macrocosme) et les différentes parties de l'organisme humain, (le microcosme). Je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire avec cela, mais c'est une bonne piste.

Mais je me dois de réfléchir encore plus avant de commencer à peindre.
J'ai un ami, Dürer qui a bien connu Léonard de Vinci en Italie ; tous les deux ont découvert beaucoup de nouveautés en peinture mais en vérité, je ne sais pas très bien lesquelles, en fait, je ne les comprends pas bien ; je suis encore un gothique, un moyenâgeux.
(Tiens, j'ai appris que le vieux Léonard de Vinci était remonté en France avec François Ier.)

Cette commande de retable n'est pas une commande comme les autres, l'époque est agitée, je ne sais pas très bien quoi en penser, je suis un fervent catholique, un mystique.
L'église inspire un profond dégoût a beaucoup de monde, moi-même je le pense ; je vais essayer de changer l'église, il faut que je retrouve la pureté de l'église catholique.
Il y a quelques années, en 1509, Érasme dénonçait les exactions des gens d'église et il attaquait directement le Pape et les évêques.
« Il faut chasser de l'église les Princes qui la couvrent de honte par leur coupable dérèglement. »
Grâce à l'imprimerie les nouvelles faisaient vite leur chemin.
(On peut même dire que Luther et Calvin propagent une idolâtrie du livre pire que celle de l'image ! )
Je ne sais plus quoi penser : images ou écritures ?
Je sais que je suis meilleur en peinture.



Seule compte la foi, disait Luther, « les oeuvres peintes sont inutiles et les bourgeois n'iront pas au paradis plus vite que les autres, il est inutile d'acheter des années de purgatoire. Arrêter le trafic des indulgences qui ne fait qu'enrichir le pape et les évêques ! »
Déjà à certains endroits les images, les peintures et statues qui représentent la vierge et les saints font déchirées et détruites.

J'aime peindre. Il n'est pourtant pas très prudent d'entreprendre mon prétentieux projet de peinture dans un tel contexte socio-religio-politique.

De plus.
En Pologne Copernic pense que le soleil est immobile et que la terre tourne autour et que le mouvement des étoiles n'est qu'apparent, ce qui est en parfaite contradiction avec la Bible qui met la terre ou centre de l'univers !
Comment ne pas tenir compte d'une telle nouveauté ?
Mais je n'y crois pas.
Pour ma part, je crois au système de Ptolémée qui tient le coup depuis presque vingt siècles.
C'est un système de boules encastrées les unes dans les autres comme des boîtes gigognes.
La terre est au centre de l'univers entourée par l'air en haut et par le feu en bas.
Puis viennent les sept sphères réservées aux planètes, la huitième porte les étoiles. La neuvième est cristalline.
La dixième est mouvante. Ensuite on arrive au ciel, habitacle de Dieu et de tous les bienheureux.
C'est ça la vérité !
Je vais vous peindre cela, je vais opposer l'obscurité à la lumière.
Sur la terre le jour de la crucifixion, tout est sinistre...
... Mais lors de la résurrection ça va être un vrai feu d'artifice.
J'aurais besoin de belles couleurs et de beaux glacis.

Matthias Grünevald.

…qui va se mettre au travail.