samedi, janvier 17, 2009

Autoportrait/Rembrandt/Artémisia






Vous me vexeriez si vous m'agrandissiez pas quelques images lors de la lecture!






L'autoportrait






Le plan d’eau.


Le premier, à avoir « vu » son double c’est Narcisse, un bel homme.
Le premier à avoir « entendu » son double c’est Echo, une belle femme.

Narcisse qui boit à une source, voit son reflet dans l'eau et en tombe amoureux alors qu’Echo, une belle fille à proximité lui fait des oeillades.
Narcisse subjugué par son image et sa propre beauté reste de longs jours près de la source à se contempler et à désespérer de ne jamais pouvoir « honorer » sa propre image. A ses côtés, Echo est délaissée comme une cruche. Ce nigaud de Narcisse tel un poisson piégé par un miroir immergé prend son image pour un amoureux qu’il désire ardemment.
Il se pâme, il dépérit puis il meurt.
À l'endroit où l'on retire son corps, on découvre des fleurs blanches, des narcisses.
Narcisse se contemplant dans son miroir, c’est le premier autoportrait ; le plus tragique, c’est le seul qui en soit mort. Dürer, Picasso, Van Gogh, Bacon, Rembrandt, Cindy Sherman et Artemisia Gentileschi n’en sont pas morts.

Toutefois, au-delà de ce narcissisme, l'autoportrait fut une manière commode d'exercer sa technique, c’est un modèle que l’on a sous la main.

La reconnaissance de l’image chez l’enfant et chez l’animal.


C’est seulement vers le quatrième mois que l’image réfléchie par la glace semble être vu par le bébé, sans d’ailleurs que cela éveille chez lui un intérêt. Puis, quelques semaines plus tard, il regarde son image comme il le ferait d’un étranger réellement présent dans la pièce, un étranger qu’il verrait pour la première fois. Quelques jours après, il lui sourit…
Il faut attendre le sixième mois pour que ce soit plus franc ; l’enfant sourit à son image et à celle de son père, mais il se retourne tout surpris quand il entend la voix de son père. Il n’avait donc pas encore su faire coïncider dans le temps et l’espace les deux images avec sa réelle présence et celle de son père derrière lui.
Lorsque l’on veut s’assurer que l’enfant a pris conscience que c’est son image qui est dans le miroir, on lui marque à son insu une pastille rouge sur le front.
Vers trois ans, tous les enfants voient la pastille dans le miroir et ils considèrent que c’est eux-mêmes qui l’ont imprimée sur le front ; soit ils portent leur main sur le front pour l’enlever soit ils manifestent à leur interlocuteur qu’ils ne sont pas dupes de cette décoration qu’ils ne sentent pas.
Qu’en était-il de Narcisse lorsqu’il s’est miré? Se reconnaissait-il ?
Certains animaux réagissent différemment. Un canard ayant perdu sa compagne a passé le restant de sa vie contre la fenêtre d’un soupirail, côte à côte avec sa propre image reflétée.
Certains moineaux peuvent se jeter régulièrement sur les pare- brise des voitures en croyant qu’un rival coexiste avec lui dans la même zone.
Le bar, un poisson, se précipite sur le miroir immergé au bout d’une canne à pêche de façon à chasser l’intrus.
Mon chien est allé me chercher derrière le miroir mobile de la pièce alors que j’étais placé silencieusement derrière lui à quelques mètres du miroir.

L’écran numérique.


Avec le téléphone portable, tout le monde peut faire son autoportrait ; envoyez c’est pesé ! C’est presque plus simple que de sortir son miroir de poche pour se recoiffer avec la main.
Le téléphone ne fait pourtant pas miroir.
Impossible de se faire un brin de beauté avec son téléphone, il fait seulement miroir du différé, du léger différé si on veut, clic, une seconde.
On peut donc se recoiffer par l’intermédiaire de son téléphone, mais l’image du téléphone est souvent située derrière l’objectif/œil.
Aujourd’hui, on peut s’autoportraiturer à qui mieux mieux, il n’en a pas toujours été ainsi.

Ayons une pensée pour le jeune Albrecht Dürer qui nous a laissé son autoportrait à quatorze ans sans téléphone portable, seulement avec son crayon, du papier et un miroir.



Ils ne sont pas nombreux les jeunes génies artistes à avoir laissé leur trombine pour la prospérité.
Je ne suis pas certain que Rembrandt se soit dessiné aussi jeune que son aîné d’un siècle, Dürer ?
Rembrandt s’est pourtant gravé et peint, très jeune et espiègle, peut-être pas à quatorze ans, mais peu importe l’âge.
Rembrandt s’est représenté sur la toile devant un miroir une centaine de fois durant sa vie.
C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que nous avons la possibilité de voir un homme à tous les âges de sa vie; il s’est dessiné ou peint régulièrement.




On le voit faire le pitre devant l’objectif, heu non ! devant son miroir, puis il s’assagit, et lorsque qu’il devient vieux, il ne se rate pas ; il se peint couperosé, cassé en deux.
Récemment, une amie m’a demandé de lui envoyer une photo de moi. Ça faisait dix ans que nous ne nous étions pas vu ; j’ai hésité, j’ai 60 ans. Contraint, je me suis photographié avec l’œil de mon MacPro. Six clics, six clichés, pas très satisfait, j’en ai tout de même envoyé une by email.

Rembrandt nous donne sa vie en pâture, c’est émouvant. Il faut voir le magnifique film d’une demi-heure consacré à Rembrandt par Alain Jaubert dans la série Palettes.
Abandonnez la lecture de ce texte si vous avez vu ce film, je ne vous apprendrai rien…

La toile/écran peinte.


Beaucoup d’artistes se sont tiré le portrait, seuls ; ils se sont peints eux-mêmes.
Vraiment beaucoup l’ont fait, ça devait être tentant alors que toutes les autres personnes dans l’entourage étaient maladroites avec leur crayon.

Mais attention ! L’autoportrait c’est une self-photo, c’est un self-dessin.
Lorsque vous vous dessinez, vous êtes seul devant le miroir.
Lorsque vous vous photographiez, vous êtes devant un objectif.
Dans les deux cas, c’est un dispositif relativement complexe qu’il faut mettre en place.
Pour un autoportrait en peinture :
N’ayez pas une fenêtre sur la droite qui vous éclaire et vous donne constamment l’ombre de votre main droite sur la toile qui peint qui passe et repasse sur la toile du chevalet.
Ayez donc une fenêtre sur la gauche.
Installez le miroir en face à droite ou à gauche…
Bien sûr cela va dépendre si vous êtes gaucher ou droitier, l’un ou l’autre, il faut tout inverser.

La vitre miroir.




…Et lorsque vous vous serez peint, vous laisserez croire aux spectateurs que vous êtes gaucher, alors que vous êtes droitier puisque vous avez recopié fidèlement l’image spéculaire du miroir.
Lorsque l’on regarde l’autoportrait d’un peintre, on remarque qu’il a souvent une palette dans la main. Il la tient par le pouce passé dans le trou. Du trou, les pinceaux en attente sont maintenus obliquement. Sur la toile, le pinceau qui peint est à droite pour un peintre gaucher.
Heureusement, nous savons de quelle main ont peint les peintres assez modernes. Nous en sommes sûrs... Et c’est heureux car certains peintres qui se sont portraiturés ont poussé le souci du détail jusqu’à inverser leurs mains sans pour autant inverser leur visage.
Oui, le visage, nous le savons, n’est pas tout à fait symétrique ; moi qui vous bafouille, je peux vous avouer que j’ai le nez légèrement de travers et l’oreille gauche plus décollée que la droite. Il doit bien y avoir d’autres détails dissymétriques.
Mais, au-delà de ces facétieux détails d’inversion qui n’ont pas beaucoup d’importance somme toute, il faut avoir bataillé à cet exercice de dispositif de peinture pour avouer que c’est bien difficile de se dévisager dans le miroir avec concentration. Se fixer avec les deux yeux examinateurs et passer immédiatement sur la toile blanche avec un regard calculateur qui va donner des ordres aux pinceaux colorés inquiets.

La postérité peut continuer à regarder l’attitude du jeune Rembrandt lorsqu’il fixe son miroir d’un air presque imbécile ou ahuri. Il s’est dessiné presque en mouvement, les yeux grands ouverts comme s’il se découvrait à chaque coup d’œil qu’il donnait sur le miroir.
Je pense à quelques gravures en particulier, à chaque fois qu’il passe, de la concentration à peindre sur la toile, au miroir, il tourne la tête d’un angle latéral de 30 à 40 degrés, il est surpris par son regard examinateur.
Son génie est d’avoir rendu avec exactitude son propre regard piégé au centième de seconde, comme un appareil photo moderne. Lui, bien évidemment à cette époque, ne sauvegardait mentalement que partiellement l’image mentale du miroir quand il virait son regard de 30 degrés sur sa toile pour peindre …
Rembrandt n’a pas cette attitude débile sur tous ses autoportraits, loin s’en faut !

Faire le portait de quelqu’un d’autre est un autre exercice bien plus simple. Le modèle peut garder assez longtemps son expression faciale puisqu’il n’a que cela à faire. Le modèle peut aussi se reposer et reprendre sa mine réjouie ou son air de croque-mort lorsqu’on lui demande. Le modèle peut relâcher son regard, son sourire pendant que le peintre dessine ses mèches, son oreille, son menton.



Bien plus simple à peindre un portrait qu’un autoportrait.Quoique !
Francis Bacon n’arrivait pas à peindre en présence de ses modèles « Cela m’inhibe parce que je ne peux pas opérer devant eux l’atteinte que je leur inflige dans mon œuvre. »
Il travaillait donc ses portraits à partir de photos.
Peut-être a-t-il opéré de la sorte pour ses autoportraits ?
 « Je préfère opérer en privé l’atteinte par laquelle il me semble pouvoir enregistrer plus nettement leur réalité. »
Francis Bacon s’est sans doute autoportraituré sans le dispositif avec miroir dont j’ai parlé ! Il a sans doute seulement eu sa photographie épinglée devant lui sur le mur à quelques dizaines de centimètres de sa toile.
…J’en connais deux qui se serait bien foutu de sa gueule; Dürer et Rembrandt !
Pas si sûr !
L’autoportrait de 1971 de Bacon… il est d’un tout petit format. Il révèle un homme tourmenté par le doute qui aurait ému ces deux maîtres.
Dans cet autoportrait bien équarri, Bacon s’est débarrassé du narcissisme de la plupart des artistes. Il a les yeux baissés, les paupières mi-closes, il n’y a pas d’artifice derrière lui, c’est noir, il n’y a aucun indice, on devine un col. Le visage de Francis Bacon semble malaxé comme par plusieurs mains invisibles qui le comprimeraient à plusieurs endroits du visage. Les coups de pinceaux larges en arc de cercles sont violents.
• On ne voit pas les coups de pinceaux dans les chairs des autoportraits de Dürer, même si on se rapproche à quelques centimètres de son nez.
• On voit les coups de pinceaux de Rembrandt lorsque l’on se trouve à un ou deux mètres de ses chairs.
• Chez Bacon, on peut compter les grands coups de pinceaux.

Ces différentes factures conditionnent le ressenti du spectateur. Le spectateur ressent aussi en fonction de la texture de la pâte et des linéaments.

Il y a sans doute autant de différence entre ces trois types d’autoportrait que deux autoportraits de photographes, l’un flou, bougé, l’autre figé net et très piqué.

Que ce soit pour les trois peintres ou les deux photographes, je n’émets pas de jugement de valeur, je ne fais que constater les effets. Il y a des ressentis différents dans ces cinq cas de figures.
Restons-en là.

Dürer s’enthousiasme pour l’estime dont l’artiste jouit à cette époque ; « Les grands maîtres se trouvaient au même niveau que Dieu. »
Bacon, lui, est peintre du désespoir de la condition humaine sartrienne. Il n’attend pas grand-chose de l’homme.
Dürer dans l’autoportrait à la pelisse imite le Christ, il se considère comme un Dieu créateur et démiurge dans la lignée des théories italiennes de la Renaissance; l’Humanisme, l’homme a pris le pas sur Dieu ; « Car je le vaux bien ! »
En revanche, Rembrandt, au travers de sa centaine d’autoportraits est un homme ordinaire, presque disgracieux. Il le dit, il se burine le visage, il vit, c’est un fou de peinture. Il n’est à la botte de personne. Le meilleur modèle qu’il ait, pour s’entraîner et augmenter sa virtuosité, est sa propre personne en habit de travail négligé ou affublé de vêtements déclassés hors mode.

Je ne suis jamais la fille que je photographie.


Vers 1980, Cindy Sherman, cette blonde de trente-deux ans est devant son miroir, elle se photographie.
« Je ne suis jamais la fille que je photographie. Je peux imaginer certaine situation, mais jamais je me sens devenir celle que j’incarne. Je prends toujours assez de distance entre ce personnage-fiction que je me construis devant la glace et moi. »
Ses photographies sont ambiguës, elle est tour à tour femme de chambre, vedette de cinéma, auto-stoppeuse, etc. Aujourd’hui, en 2000, elle resserre les plans sur son visage. Elle ne photographie que des visages monstrueux, des têtes grimaçantes, des visages tuméfiés, toujours des autoportraits.



Cindy est une femme qui décoiffe, je fais allégrement un bond dans le temps, je recule de quatre siècles.
Artemisia Lomi Gentileschi (1593/1652), une brune de trente deux ans, s’est peinte en un autoportrait impressionnant. Elle est devant sa toile, elle écarte les mains, la main la plus haute tient un pinceau. Elle est presque vue du dessus puisqu’elle est penchée vers nous. Elle s’est peinte en clair-obscur. Elle est un peintre de cour à succès ce qui est rare. Notre vingtième siècle ne nous a pas enseigné qu’une femme puisse peindre avec le même statut qu’un Vélasquez.
Artemisia ne fait jamais dans la dentelle : son tableau le plus célèbre est Judith décapitant (froidement) Holopherne qui est sans doute une vengeance peinte de son vrai viol et du procès humiliant qui s'ensuivit. On croirait que la tête dépasse de la toile et va tomber sur le parquet du musée !




Van Gogh et ses effets mystérieux.


« J’éxagère le blond de ma chevelure, j’arrive aux tons orangés, aux chromes, aux citron pâle.
Derrière la tête au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l’infini. Je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison ma tête, éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l’étoile dans l’azur profond…
Les bonnes personnes ne verront dans cette exagération que de la caricature.
Mais je m’en fiche quand je pense à Francis bacon qui tartinera bien plus que moi ! »

Extrait d’une lettre à peine retouchée et j’invente une suite.

« La plupart du temps, les bonnes gens admirent un autoportrait parce qu’ils en admirent la prouesse technique qu’ils ne savent pas exécuter mais, ils ne se rendent pas vraiment compte que se dessiner c’est se mettre à nu. Ce n’est pas forcément de l’orgueil. Comment arriver à se révéler? Que laisser échapper de soi ? Quelle expression choisir ou au contraire, comment s’en détacher ? »

Selon Plutarque, le sculpteur Phidias du Parthénon aurait fait preuve d’une audace insensée en se représentant dans une foule vers 438 avant notre ère.
Cette audace ne pose plus aucun problème aujourd’hui, on se demande même pourquoi il y a eu hésitation à s’auto représenter ?