vendredi, avril 18, 2008

Sa muse/Musée/Amusez-vous.






















« J’aime pas aller dans les musées… »

M’a répondu la petite fille de mon amie qui venait de passer une heure et demie avec le retable d’Issenheim. Ces parents l’y traîne souvent.



Pourquoi un enfant s’intéresserait-il à une œuvre dans un musée ?
Sa Muse, ça t’use, ça l’use tes salades.

Pourquoi aimerait-il une œuvre accrochée au musée ? Que l’œuvre soit ancienne, moderne ou contemporaine, ça change quelque chose ?

C’est très difficile de le savoir; je n’ai pas eu la chance d’avoir la malchance d’avoir des parents qui me conduisaient au Musée. Mes parents ne se déplaçaient pas, tout était loin de notre campagne sans voiture.
Quand me suis-je rendu au musée pour la première fois ?
Peut-être fusse lors d’une permission de marin à Paris entre Brest et Epinal en 1965 ?
J’avais 17 ans. Je me suis rendu entre deux trains au musée d’art Moderne de Paris, j’ai heurté une exposition de Rauschenberg par hasard.
De la peinture de toutes les couleurs, qui dégoulinait sur un aigle empaillé accroché à une toile encadrée d’or ou autre chose… Et beaucoup d’autres peintures aussi dingues que celle-ci !
J’en fus surpris et admiratif, séduit chaviré, sacrément stupéfait de savoir que quelqu’un puisse se permettre cela alors que moi j’étais marin militaire au pas.
J’ignore aujourd’hui comment j’ai pu me rendre seul dans ce lieu entre Brest et Epinal, c’était une décision personnelle, 40 ans plus tard, c’est une énigme.
L’initiative est sans doute la meilleure façon de se rendre au musée. La motivation est nécessaire. Bien plus tard encore, il s’en est suivi une curiosité, presque un manque, ça s’est passé comme cela pour moi.
Mais, je ne pense qu’il soit nécessaire d’attendre si longtemps pour se décider d’aller dans un musée par curiosité. Il y a sans doute d’intelligentes manières de drainer les enfants aux musées.

Les Anglais ont rendu les musées gratuits depuis 2000. J’ai bénéficié de cette gratuité lors de voyages de travail. Assez souvent, je suis entré dans les musées londoniens pour seulement une demi-heure puisque je travaillais jusqu’à 17h oo. Si l’entrée avait été payante, je n’y serais pas entré pour si peu de temps.
Je me suis réjoui de cette gratuité, mais la gratuité ne suffit pas à faire changer les comportements. Une enquête montre que ce sont les mêmes catégories sociales qui ont continué à fréquenter les musées gratuitement. Il y a eu peu de changement, les catégories sociales qui n’y rendaient ne s’y sont toujours pas rendues.
Le constat est donc assez décevant, mais pas surprenant. Pourquoi entrerait-on dans un lieu incompréhensible donc hostile?
Les professionnels de ces lieux dont je fais partie peuvent ne pas comprendre pourquoi les débutants ne font pas l’effort de se déplacer pour comprendre quand c’est gratuit.
« N’entrez dans ce lieu que si vous y avez vraiment envie » C’est Paul Valéry que je cite de mémoire, il aurait aimé que cet adage soit affiché sur les frontons des musées, ça limiterait les dégâts causés.



Des générations d’enfants des écoles et des collèges ont été dégoûtées par leurs premières approches avec les œuvres d’art. Des enfants ont détestés les musées pour y avoir été avec les parents, d’autres enfants ont continué à s’y rendre.
Les premières fois que l’on va au musée, on devrait être pris en charge comme lorsque l’on rentre à l’hôpital.



Autrement dit, les premières fois, on devrait profiter de son environnement scolaire favorable et compétent. C’est par l’éducation que ce fera cette fréquentation des musées !



L’enseignant est la personne idéale, c’est elle qui connaît le mieux les enfants. C’est elle qui doit préparer l’initiation, plutôt, l’invitation. Le professeur peut choisir le temps de la visite, il a du temps avant et après la visite. Il choisira seulement quelques œuvres. Il peut préparer sans image. La photocopie noir et blanc d’une oeuvre fera préférée à une bonne reproduction, vous aurez ainsi plus de chance qu’il y ait une surprise devant l’original.
Par exemple, devant le « Job raillé par sa femme » de Georges de la Tour du musée d’Épinal, il est intéressant de passer du noir et blanc sur petit format en classe aux couleurs rouges orangées de ce grand cadre devant lequel on va s’asseoir pour faire des suppositions rocambolesques sur la présence de ces deux personnages si proches l’un de l’autre.

Résumé : non seulement entrer dans un musée est difficile, mais de plus il faudrait que les œuvres plaisent d’emblée aux enfants !

Il est facile de répondre que cela dépendra plutôt de la qualité des interventions des enseignants devant les œuvres que des œuvres elles-mêmes. Toutefois, les enseignants peuvent souvent avoir recours au service éducatif du musée qui savent rendre la plupart du temps les visites attrayantes. C’est une solution intéressante, en tout cas bien meilleure que celle de l’enseignant incompétent qui dégoûtera ses élèves.

Est-ce plus judicieux que de commencer par Cimabue 13e, Vinci, Géricault, Monet 19e, Picasso, Pollock, Barcelo 20e ? Incontestablement, c’est Barcelo qui aura la faveur du groupe avec lequel vous pouvez faire cet essai. L’art Contemporain peut séduire assez facilement les enfants ; une nature morte de ce peintre est si surprenante par ses matières.

Une collégienne m’avoua dans la grande galerie du Louvre qu’elle, « n’était pas attirée par tous ces tableaux qui ont tous le même style italien sombre trop foncé avec des femmes nues, c’est absurde.» Un autre collégien surenchérit en remarquant qu’un copiste se débrouillait mieux ; « je trouve même que la copie est mieux, les couleurs sont plus claires. »

Comment peut-on repérer qu’un tableau, qu’une sculpture est une œuvre d’art et que l’on devrait y prêter plus attention qu’à une autre ?
À Rome, un petit groupe de collégiennes s’émerveillèrent devant les sculptures baroques qui environnaient le Moïse sculpté de Michel-Ange. Elles ne regardaient pas le Moïse. Le Moïse était pourtant le clou de la visite, le but de la visite, elles le savaient. Ce qui était autour les intéressait plus. Ce n’est pas surprenant et c’est concevable. Pourquoi le Moïse serait-il le chef-d’œuvre en comparaison aux autres sculptures de bonnes qualités ?
C’est l’histoire qui place le génie de Michel-Ange avant ces maîtres de seconde catégorie. Ce n’est pas facile de préférer Moïse ce géant statique à ces êtres vivants qui se contorsionnent autour de lui.



Comment apprécier les oeuvres lorsque l’on est venu spécialement les admirer par le train ou en bus ? D’autant plus que l’école a souvent cassé la tirelire de la coopérative pour organiser cette journée ou ce séjour avec toute la classe.

Les enfants peuvent préférer les relations avec leurs camarades aux bonnes activités savantes des meilleurs professionnels de l’équipe éducative du musée?
Les relations entre élèves sont sans doute plus importantes ce jour-là que les œuvres à voir. comment inverser cet écart ?
Les deux aspect de la journée ont leur importance et il faut les respecter. Il y aurait pu y avoir auparavant une journée préparatoire, une journée sans but artistique, par exemple, une journée dans la campagne ou en ville pour le plaisir d’être ensemble, mais cette journée de précaution n’épuisera pas toutes les richesses de la vie de groupe des écoliers et des collégiens. Il est difficile de faire passer les œuvres au premier plan lorsque l’on ne sort pas souvent ave la classe.




À la fin du XIXe siècle, les critiques d’art nommaient les musées, “cimetières de l’art ”, “asile posthume” et dans le meilleur des cas “grenier de luxe”.

Il aurait pu ajouter me semble-t-il, des mots chocs comme “lieux religieux, oeuvres cadavériques, silence d’église, temple de l’art, alignements désespérants, recueillement ennuyeux, incompréhension fréquente, érudition indispensable, vieilleries ringardes si loin de la vraie vie de dehors.”
Et aussi, “obligation d’aimer au risque de passer pour un idiot. Défiler sans possibilité de s’asseoir. Ne pas pouvoir parler fort. Ne pas pouvoir boire un coup et parler d’autre chose, interdiction de rire quand une œuvre fait rire”.




38% des professions libérales et des enseignants se rendent dans les musées ; c’est le cas des parents de la petite fille qui n’aime pas les musées.
5% des ouvriers visitent les musées; mon père était maçon, j’avais peu de chance d’y aller.
55% de plus de 15 ans ne vont jamais voir d’exposition.
18% d’étudiants vont dans les musées.
Quel imbroglio !

Somme toute, il est plus facile de dire ; “Maman, puis-je regarder la télé”, que de demander; “Maman amène-moi au Musée”. Les enfants préfèrent la lumineuse lucarne télé aux vieilles lucarnes dorées des cimaises des musées aux parquets grinçants, la lutte est vraiment déloyale.














à bientôt.