vendredi, mai 02, 2008

Dubuffet/Hourloupe/Pâte.


















Jean Dubuffet pourrait être mon grand-père.




Mon grand-père aurait le même âge que lui. Ils sont tous les deux morts en 1985. Je préfère mon grand-père à Dubuffet, mais il aurait été pas mal non plus pour grand-père.
J’ai beaucoup de souvenir de mon grand-père dans les années 60, j’avais 12ans, il avait 60 ans, il est né avec le siècle, Jean Dubuffet, l’année d’après.
C’est dans les années 60 que Dubuffet devint Hourloupeur professionnel. Il dessina des réseaux compliqués de lignes qu’il rayait tantôt de rouge tantôt de bleu, tout le monde connaît cela de lui.
Il en a eu marre au bout de dix ans.
Il avait mis au point ce système méthodique et systématique un peu par hasard, en répondant au téléphone pour s’occuper les mains.
Il n’y avait pas le téléphone chez ma mère, fille de mon grand-père.
Personne ne dessinait en téléphonant, il n’y a jamais d’Hourloupe sur les calepins de la maison bien aride en papier et en stylo-bille.
Dubuffet agissait à Paris loin de la radio, le seul média qui aurait pu nous atteindre dans notre campagne.




Ce n’est que dans les années 80 que j’ai connu ce curieux bonhomme qui avait fait bien autre chose avant d’être obsédé par ses réseaux méthodiques noir sur blanc rayé de rouge et de bleu. J’avais plus de trente ans.



Précédemment, dans les années cinquante, jean Dubuffet était dans l’enduit, dans la pâte, dans la peinture épaisse dans lesquelles il additionnait toute sorte de saloperie qui donnait de l’épaisseur à ses supports plats qui prenaient l’allure de pizza ou de vieux murs abîmés et craquelés.




À cette époque, ses œuvres picturales sont des bouillies qui donnent l’impression d’avoir séjournées trop longtemps dans un four trop chaud. Peut-être aussi que ça donne l’impression d’être un bout de trottoir macadamisé badigeonné sur une grande plaque de bois et accroché verticalement aux cimaises des galerie aux murs blancs.

Mon grand-père avait passé le certificat d’étude avant la première Guerre Mondiale, Dubuffet aussi sans doute, même plus… Mais par la suite Dubuffet a essayé d’oublier qu’il savait plein de choses en histoire, en géographie, en tout. Alors que mon grand-père, lui, a essayé de toujours en savoir plus, mais ça n’a rien donné.



Dubuffet aurait voulu tout oublier son savoir et être aussi pur qu’un abruti, qu’un aliéné ou qu’un enfant de maternelle. Il s’en est approché, mais il n’y est jamais parvenu. Il s’est rendu compte que plus il essayait d’oublier son érudition plus il emmagasinait des connaissances culturelles, ce qui était le contraire de ce qu’il cherchait. Il a bien été obligé de le reconnaître à la fin de sa vie.

Pendant ce temps, mon grand-père travaillait dur et il essayait de maintenir ses connaissances qui n’augmentaient pas beaucoup puisqu’il vivait au rythme harassant des foins, des regains, des moissons, des patates, sans amis intelligents pour le titiller sur sa culture.