lundi, février 26, 2007

Le radeau de la Méduse




















« Le Radeau de la Méduse » qui mesure 5 mètres sur 7 est un très grand radeau que l’on peut voir au Louvre.

Le radeau de la Méduse est une très grande toile peinte de 10 mètres sur 20 que l’on ne peut pas voir au Louvre.
- « Non ! C’est le contraire ! »


La toile a été peinte au début du XIXe siècle un peu avant l’invention de la photographie ; il n’y avait pas de photographe comme Robert Capa sur le radeau pour relater l’événement !
…Il n’y avait pas non plus de téléphone portable pour témoigner de l’attaque à la fourchette des terroristes par les passagers courageux. Pas non plus de caméra pour faire du « happy slapping » !
Tout le monde a déjà vu le tableau « Le Radeau de la Méduse » en reproduction sur un livre, mais personne ne peut s’imaginer ce qui s’est passé durant ces 13 jours de dérive.



En pleine tempête, 150 personnes s’entassent sur un vrai radeau fait de mâts; seulement 15 rescapés seront recueillis par le bateau « Argus ».
Cinq autres mourront quelques jours après.
Sur la peinture du radeau, les 19 personnages se portent plus ou moins mal de bas en haut suivant une ligne à 45 degrés, néanmoins, ils sont tous plutôt bien musclés.
Il y a des hommes noirs et des hommes blanc verdâtre.
C’est un homme noir qui est placé le plus haut sur le tonneau, c’est lui qui se distingue bien sur le fond clair de la mer éclairée par les éclairs d’un orage ou par plusieurs projecteurs de scène.
Il est tout en haut, il fait un signe avec un chiffon qui semble amidonné.

- « À qui est destiné ce signe ? »
Si l’on regarde bien à la loupe dans la partie claire à l’horizon, on aperçoit une espèce de mouche à voiles, c’est un trois-mâts qui arrive de face, il est encore bien riquiqui à l’horizon.
Géricault a aimé mettre un noir sur le haut du radeau parce que sa peau contrastait avec le ciel, plus que celle d’un blanc.
Théodore Géricault a eu trois raisons pour mettre un noir en haut du podium.
La deuxième raison était que tout l’équipage se rendait au Sénégal.
La troisième raison était que Géricault commençait à penser sérieusement que les Noirs avaient leur place dans notre société, mais ce n’est pas encore l’heure de l’abolition de l’esclavage par Victor Schoelcher.

“Le Radeau de la Méduse” est un titre énigmatique pour un tableau…
Pas vraiment, puisque c’est le nom du bateau qui s’est échoué sur le sable au large, à cent kilomètres des côtes africaines. C’est donc naturellement que le radeau construit par les rescapés s’appelle le radeau du bateau “ Méduse ”. sachant tout de même qu’une méduse n’est qu’une bestiole transparente que l’on n’aime pas rencontrer quand on se baigne. Ça peut être aussi une hideuse tête de femme avec des serpents à la place des cheveux qu’il ne faut pas regarder sous peine d’être transformé en statue pour longtemps.
Il faut seulement savoir que quatre bateaux se destinaient pour le Sénégal l’un s’appelle la Méduse, l’autre l’Argus, pour les deux autres, j’ai un trou.



Ce bateau appelé Méduse s’est échoué sur un banc de sable ; il n’a donc pas coulé ! Ils étaient 400 à bord, c’était trop pour les chaloupes ! Tout le monde a pu quitter le bateau, en canot, en chaloupe ou sur un grand radeau. Sur les canots et les chaloupes, s’étaient installés l’aristocratie et aussi les militaires de haut rang dont le capitaine.

Les canots et les chaloupes étaient chargés de remorquer le grand radeau qui contenait plus de 150 personnes bien vivantes, mais pas importantes pour la majorité. Le rivage n’était pas si loin, mais les courants étaient assez forts. Les rameurs des canots de sauvetage ne réussissaient pas à entraîner le radeau vers le rivage situé à une centaine de kilomètres.
Le radeau faisait dériver les chaloupes à rames.

- « Je ne sais pas ce que vous auriez fait si vous étiez à la place des heureux élus voyageant dans les canots et les chaloupes ? Ou vous décidez de vous débarrasser du radeau qui est en remorque comme un boulet pour être libre d’aller vers la côte en face, à l’Est, ou vous dérivez avec eux au sud. »


Les passagers des chaloupes ont coupé les cordes qui remorquaient le radeau ; les canots de sauvetage sont arrivés sur la plage quelque temps après, pas très frais.
Le radeau a dérivé des jours et des jours, la dérive n’a pas duré des lustres, 13 jours exactement, sans vivres, sans eau ; ça fait des ravages.
Dès le début, il a fallu balancer à la mer la nourriture et les liquides parce qu’il n’y avait pas assez de place pour tout le monde. Les 150 passagers avaient de l’eau de mer jusqu’à la ceinture.
Les premiers jours, quelques-uns sont tombés à la mer, d’autres se sont faits broyés les membres par les poutres disjointent. Il y a eu aussi deux rébellions à l’arme blanche. Les cadavres se sont entassés sur le radeau ; devenaient plus stables sur les poteaux rassemblés que les hommes debout déséquilibrés.


On fit sécher de la viande humaine sur les haubans, on en a mangé, on a bu des urines.
- « Le pire des cauchemars, quoi ! »
Ils n’étaient plus que15 dans un piteux état quand ils ont été recueillis.
- « S’il y avait eu quelques caméscopes à bord, de son canapé, on aurait sans doute eu des images ahurissantes à 2O hoo sur son écran plasma ! »
L’événement était digne d’une couverture de Paris-Match, ce fut le cas à cette époque.

Intéressons-nous à la raison qui a fait échouer ce bateau.
Le capitaine cacochyme était un incompétent qui reprenait du service après que tous les officiers bonapartistes aient été mis à pied ; ce sont donc les anciens militaires de la royauté d’avant 1789 qui reprenaient les rênes de l’armée française, de la Marine Française après la chute de Napoléon en 1814.
Le vieil amiral n’a pas pu lire la carte sur laquelle le banc de sable était bien mentionné ; comme un bleu, il s’est échoué.
Échoué n’est pas coulé. La coque du bateau était bloquée sur du sable, avec quelques mètres d’eau tout autour. Cette coquille endommagée était donc à la merci des tempêtes ; elle pouvait se retourner d’un moment à l’autre. Il aurait sans doute mieux valu que tous ceux qui se sont installés sur le radeau restent là pendant que les chaloupes rejoignaient la côte, c’est ce qu’ont fait 17 personnes. Quand ils ont été recueillis, ils étaient devenus fous, dit la chronique.

- « Stop ! Ne parlons plus de l’horreur de cette catastrophe. Discutons de l’incompétence de ce capitaine. »
Certains hommes politiques montèrent cet épisode en épingle dans la presse écrite. Géricault, profita de cette occasion; c’est donc un scandale militaire et politique que dénonça Théodore Géricault avec ce grand tableau, un peu à son insu sans doute, lui voulait réussir un chef-d'oeuvre.

- « Eh bien alors, il aurait dû peindre les hommes maigres, affamés, aux yeux hagards, dévorant de la chair humaine, cela aurait été plus percutant ? »
Il y a songé, des esquisses montrent des scènes d’anthropophagie.
Puis, il s’est ravisé. Il a préféré la scène finale de l’espoir, avec les voiles du bateau au loin et de l’homme noir qui va bientôt prendre sa place d'être humain dans notre tête de blanc.
S’il a peint des colosses, c’est que ça répond aux codes des canons esthétiques de la Renaissance et donc de cette période Néo-classique. Le tableau s’inscrit dans deux triangles isocèles légèrement décalés comme l’aurait fait un artiste de la Renaissance.
- « Alors, il ne s’est pas posé la question de peindre des gens maigre comme ceux des camps nazis qui eux ont été photographiés à l'arrivée des Américains. »

C’est impensable, à cette époque ! Les personnages du radeau sont en quelque sorte les mêmes personnages que ceux de Michel-Ange dans son Jugement Dernier ; les muscles sont saillants, les pauses sont étudiées, tout est apprêté, un peu comme si Schwartzie avait eu tous les rôles.

- « Ce tableau témoigne donc d’un fait-divers hallucinant, résultat d’une déficience de commandement. »
Le responsable sera condamné à 5ans de prison…
En 1819, le tableau exposé ne sera pas vu pour comme étant irréaliste. À cette époque, il était impensable de peindre la vie misérable telle qu’elle était. Les vrais rescapés qui ont posé pour le peintre avaient repris du poil de la bête, ils n’étaient plus amaigris, ils n’avaient plus de sales têtes, il n’était pas question de voir cela sur cette peinture de salon inauguré en grande pompe comme un salon de l’agriculture.
Cinquante ans plus tard, Courbet s’essaya au réalisme avec un enterrement. Son tableau a surpris parce que le curé est un peu rougeaud, les villageois plutôt frustres. Il n’y a pas de mélodrame comme sur le radeau, cet enterrement de campagne est banal, trop vrai.

Théodore Géricault, n’y est pourtant pas allé de main morte quand il s’est attelé à ce travail qui lui a demandé dix huit mois. Il a décidé de s’installer pas très loin de la morgue pour pouvoir y récupérer des parties de corps humains. Il en a entassé quelques-unes dans son atelier. Il y avait une puanteur exécrable ; des bras, des jambes, des têtes coupées étaient ses modèles. Rien de tout cela ne sera sur la toile.
Il a bien observé l’état de la chair humaine qui se décompose, il a travaillé les verdâtres, les jaunâtres et les brunâtres, c’est la partie la plus réaliste.
« Il a fait fort avec la couleur ! »

Il a fait beaucoup de croquis préparatoires. Il a essayé quatre ou cinq compositions différentes pour ce grand tableau, Sur l’une de ses esquisses à la gouache, on voit un personnage en train de mordre l’épaule ou le bras de son compagnon, il abandonnera cette idée.
Sur son tableau, il n’est pas question de viande humaine boucanée sur des cordes, il n’est pas question de sang.
- « On peut repérer un indice sur le radeau ; il y a un outil qui coupe, c’est une hache ! elle n’est même pas rougie, elle n’a peut-être servi qu’à fabriquer le radeau ? »
Éventuellement, si vous cherchiez la trace de sang humain sur ce radeau, il faudrait suivre du doigt le ruban rouge qui parcourt six ou sept personnages de la scène, quelquefois il couvre leur tête, quelquefois il passe derrière eux.

- « On a bien l’impression qu’ils sont en pleine mer, qu’ils sont bien contents de voir arriver un bateau loin, mais on n’a pas la moindre idée du temps qu’ils sont restés en mer. Cela pourrait être une mise en scène pour un film d’action hollywoodien à gros budget ! »
En quelque sorte c’est un peu cela, la caméra.., je veux dire, l’œil du spectateur est presque sur le radeau, nous sommes très près de ce regroupement d’hommes, mais heureux de ne pas être avec eux. Un éclairagiste fait zébrer quelques éclairs, une grosse ventilation souffle dans l’unique voile
Si c’était un véritable radeau qui subissait cette vraie force des vagues que l’on remarque derrière la voile, personne ne pourrait tenir sur un tonneau, tout le monde serait accroché aux bastingages, à une poutre, à une corde. Il faut avoir été en mer par mauvais temps pour savoir qu’un radeau est une véritable coquille de noix qui remue tout le monde beaucoup plus qu’une attraction foraine.

- « Qu’est-ce que ce tableau est sombre ! »
Géricault a sans doute exagéré avec la couleur noire, il aurait pris une forme de goudron qui noircit de plus en plus ; quelques personnages sous la mature disparaissent progressivement. Une photo de la fin du XIXe nous laisse encore les voir.
- « Aujourd’hui, ils ont pratiquement disparu ! »
C’est dommage, il y en a un qui avait à peu près la même expression qu’un des personnages accablé du Jugement Dernier de Michel-Ange.

Si vous ne connaissez pas Théodore Géricault, il faut savoir qu’il n’a pas eu la chance de vivre bien vieux, il est décédé des suites d’un accident de cheval, il est de la même génération que Delacroix, son ami qui figure sur le radeau ; c’est lui qui est étendu au premier plan. La légende dit qu’il a été rajouté par la suite avant que le tableau ne soit présenté en exposition. Il est aussi de la même génération qu’Ingres.
Il meurt à 33 ans ; Géricault est un génie, qu’on se le dise.



- « Si on suit les dates importantes du radeau, ça donne quoi ? »


La Méduse échoue le 2 juillet 1816.
Le radeau dérive 13 jours.
La nouvelle est dans le journal le 8 sept 1816.
En novembre 1817, deux rescapés écrivent un ouvrage qui fait sensation.
En 1818, Géricault se met au travail. Il y travaille 18 mois.
En août 1819 le tableau est exposé, le peintre a 27 ans.

Dans la gazette de France le 30 août 1819 un journaliste écrit:
«… Point de figures principales, points d’épisodes, tout est ici hideusement passif ; rien ne repose l’âme et les yeux sur une idée consolante ; pas un trait d’héroïsme et de grandeur, pas un indice de vie et de sensibilité ; rien de touchant, rien d’honorable pour l’humanité morale ;
On dirait que cet ouvrage a été fait pour réjouir la vue des vautours. »





À l’époque ce tableau a rebuté les visiteurs bien autant que le texte des rescapés. J’ai pourtant essayé de vous montrer que ce n’était pas vraiment un tableau aussi réaliste que ce journaliste vient de l’écrire.

Post-scriptum : pour en savoir un peu plus sur « le Radeau de la Méduse », consultez le « Textes & Documents pour la Classe » consacré à ce tableau ; c’est excellent ! Je n’ai rien vu de mieux sur le sujet pour aborder le sujet avec une classe. Il y a beaucoup de croquis et d’images.
J’ai assisté à la présentation de ce tableau par un stagiaire responsable d’une classe de CM2, c’est bien d’aborder ce tableau avec une reproduction, mais c’est mieux de profiter d’un voyage à Paris et de s’asseoir devant l’original, c’est ce que fait ma femme avec ses CM2 depuis 10 ans!
Le Radeau de la Méduse est une belle image peinte, intransportable pour une leçon d’Histoire et d’Histoire de la peinture.

mardi, février 20, 2007

Art Land Paysage















L'art dans le paysage.
Le paysage dans l’Art.


De tous les temps et quel que soit le temps, les artistes n’ont pas souvent mis le nez dehors pour créer leurs œuvres: la plupart du temps, ils ont peint et sculpté de mémoire avec du matériel encombrant difficile à déplacer, blottis à l’intérieur de leurs grands ateliers à éclairage zénithal..., bien au chaud.

Si les Impressionnistes ont chaussé leurs godillots, c’est parce que c’était maintenant plus pratique de sortir avec de la peinture en tube, toute prête ! Et un petit chevalet qu’ils pouvaient camper en pleine nature. Tout équipés, ils avaient l’allure de randonneurs. Ils se déplaçaient pour peindre sur place la lumière et les ombres qu’ils voyaient changer d’heure en heure.

Aujourd’hui, il n’y a plus de peintres impressionnistes qui comptent, mais, des artistes sortent, peignent et sculptent dans la nature avec les éléments naturels qu’ils ramassent ; les graines de sorbier rouges, les pétales de pissenlit jaunes, les myrtilles violacées… Il y a le choix!

Il ne faut pas trop insister à comparer les artistes d’époques différentes !

À la fin des années soixante, c’est tout de même la première fois qu’une poignée d’artistes passent leur temps dehors. Ils n’utilisent ni peinture en tube ni matériaux nobles comme le bronze ou le marbre : ils déplacent les rochers, la terre et le sable comme des bâtisseurs de route, ils sculptent la nature.
Voici trois exemples :
Robert Smithson réalise à la pelleteuse une vaste route spiralée qui se rend dans la mer comme un quai qui ne servirait à rien.
Christo empaquette trois kilomètres de côte Pacifique rocheuse avec 92 km2 de toile blanche.
Walter De Maria installe mille mâts d’acier poli de 4 à 8 mètres de haut sur 1km2 pour recevoir la fureur du ciel ; les éclairs.
Leurs projets sont souvent immenses, voire démesurés : ce sont de véritables “dieux constructeurs”.

Ce sont les artistes du Land-Art.
Land : signifie “paysage” en anglais.
Art : signifie “façon”, “manière” en anglais et en français.



Cette introduction faite, aujourd’hui intéressons nous seulement à la simplicité, à l’humeur, à la rigueur des artistes solitaires tels que Richard Long, Nils-Udo, Andy Goldsworthy, Giuseppe Penone qui ne se prennent pas pour des taupes ou des araignées géantes et mécaniques comme les artistes des années 60 dont on vient de parler.

« Je n’emporte rien avec moi comme outil, pas de colle ni de corde, car je préfère explorer les liens et les tensions naturels qui existent au sein de la terre… »
Andy Goldsworthy se rend dans la nature avec les mains dans les poches.

Les “Paysag'Artistes” sortent, ils n’ont pas d’atelier, ils marchent beaucoup, ce sont des chasseurs, mais ils ne traquent pas les animaux, ils cherchent des matières pour travailler. Ils peuvent utiliser de la neige s’il y a de la neige. S’il y a des coquelicots, ils cueillent les pétales rouges et ils enveloppent une grosse pierre trouvée à proximité de ces pétales collectés; la pierre devient rouge.., on ne le croit pas de nos yeux !
Les artistes offrent à l’endroit choisi ce que l’endroit aimerait voir.


Ces artistes profitent des occasions qui se présentent au jour le jour ; en automne, ils classent les feuilles rouille, les feuilles encore un peu vertes, celles qui jaunissent, il y a beaucoup de couleurs différentes. Avec toutes ces nuances, ils peuvent peindre comme des vrais peintres de la peinture ; mais ils ne peignent pas, ils organisent les feuilles colorées sur l’eau, sur de l’argile, sur l’herbe.
Comme leurs oeuvres ne dureront pas autant que les toiles de Monet au Musée d’Orsay, ils prennent des photos de leurs œuvres. On peut les voir photographiées dans les musées, mais plus couramment dans des livres des bibliothèques.

« Un arbre secoué par le vent devient une source de brindilles et de branches. Je décide de m’arrêter quelque part ou de ramasser un matériau quand je sens qu’il y a quelque chose à découvrir. C’est ainsi que j’apprends. » A.G

La pratique de ces artistes ressemble sans doute un peu à celle de nos ancêtres de la préhistoire qui aimaient les fleurs et les cailloux. Les archéologues en ont trouvé bien organisés dans les tombes qui datent de cent mille ans. Ils n’ont retrouvé que les traces de pollen des fleurs !
Nos ancêtres choisissaient aussi, sans doute, des morceaux de bois pour leurs formes particulières. Ces formes avaient du sens pour eux.
C’est ça agir en artiste !
À quel moment un simple morceau de bois devient-il une œuvre d’art ? Le sculpteur doit-il toujours tailler le morceau de bois pour qu’il devienne une œuvre ?

En 1912, Marcel Duchamp décide: “il est plus important de choisir que de faire”, par cette opinion, il ferme la boucle, il rapproche l’art moderne à l’art des premiers hommes esthètes et..., basta !

Les oeuvres de ces “artistes de l’extérieur” sont une belle suite aux jeux de notre enfance lorsque, dans les prés et les champs nous avons essayé de tresser des tiges de joncs, des couronnes de lierre. Avez-vous rassemblé des feuilles de hêtres avec des brindilles piquées ? Peut-être avez-vous déjà enlevé une rangée de nervure sur deux à une feuille de marronnier ?
En coupant net une tubulure d’angélique, on peut boire à la source trop basse comme avec une paille.
Collez-vous une belle grande épine de ronce sur l’arête du nez avec de la salive ; vous ressemblerez à un rhinocéros; la base de cette épine en forme de selle de cheval s’adapte parfaitement au nez.

Ce sont des offrandes à la nature que font ces artistes. Ces cadeaux artistiques ont presque une dimension religieuse, comme pour un culte païen ; ils s’adresseraient aux dieux de la nature en pensant qu’ils accepteraient leur don…
Ces œuvres servent à nous faire prendre conscience, à nous les hommes, plutôt qu’aux dieux qui fument la pipe à l’intérieur des volcans et qui se fichent pas mal de nous..., à nous faire prendre conscience que nous gâchons un peu tout avec nos machines à gasoil, avec notre béton, notre goudron, nos gaz en tout genre, nos déchets toutes catégories qui polluent les rivières, l’air, la couche d’ozone.

Ces artistes mine de rien, sans tambour ni trompette de Jéricho, essayent de nous rappeler que l’on est des habitants de “la planète terres-eaux-arbres-brindilles-fleurs” et que tout cela est très beau même si dieu l’a fait assez vite en quelques milliards d’années.
Ces hommes stars de la nature nous apprennent, qu’il est poétique, sympathique et artistique de seulement modifier quelques petits trucs dans le paysage sans lui faire de mal. Ils nous enseignent de bien regarder la nature, de la regarder simplement et ça fait plutôt chaud aux yeux. Ils nous demandent de bien examiner la petite chose ou l’œuvre éphémère qu’ils ont réalisée avant qu’elle ne disparaisse, avec le vent, la pluie, avec le soleil.

Mes œuvres sont des prétextes pour donner à voir la nature.” Nils-Udo



Ne plaçons personne trop haut sur un piédestal, ces artistes n’ont pas inventé la poudre, depuis longtemps les Japonais ordonnent des jardins d’une étonnante beauté et sobriété ; le moindre caillou à sa place calculée, la fleur est placée dans un écrin, le sable est ratissé. Le jardin japonais est une science et une manière de vivre depuis longtemps.
Et aussi, on parle de jardins à la française et de jardins anglais : les premiers sont très géométrisés, la nature est symétriquement taillée, muselée, réglementée, on peut voir cela au château de Versailles. Les seconds, les jardins anglais sont tout aussi travaillés et entretenus, mais cela ne se voit pas du premier coup d’œil, sauf pour la pelouse ! .., qui est toujours exagérément tirée à quatre épingles. En Angleterre, la géométrie des parcs est absente, la nature semble sauvage, mais en réalité tout est mis en scène comme au théâtre.
Depuis longtemps donc, les hommes jouent avec les plantes, ils les domestiquent autour de chez eux. Les artistes des années 70 et 80 quittent les villes et s’éloignent dans les prés, les champs, les montagnes, les déserts, les contrées inhospitalières chaudes et froides.



Giuseppe Penone a 20 ans en 1968. Il peut aussi bien travailler dehors qu'à l'intérieur de son atelier s’il a une idée assez simple comme celle-ci : évider un arbre abattu à la gouge et au ciseau à bois. Il enlève méthodiquement les cernes concentriques de la croissance de l’arbre pour retrouver bien au milieu le jeune arbre d'origine avec ses quelques petites branches. Ainsi, à l’intérieur de l’arbre abattu par la tempête, Penone retrouve l’image du jeune arbre hérissé de ses petites branches, mais le petit arbre est écorcé ! l’artiste italien est remonté dans le temps de l’arbre et aussi sur son temps à lui, celui de sa jeunesse, celui d'avant sa naissance. L’arbre “décerné” est une œuvre à remonter le temps, mais moins qu’une véritable machine à voyager dans le temps…

« Et si l’on pouvait redresser l’arbre abattu par la tempête? » L’artiste polonais Ryszard Litwiniuk l’a fait en 1999. Il a taillé un tenon et une mortaise dans le tronc d’un géant. Il a finalement laissé l’arbre couché au sol avec son articulation.., comme une porte ouverte. Il appelle son oeuvre “Renaissance”.
Dans l’Antiquité grecque, ces œuvres seraient des hymnes aux deux divinités opposée et complémentaire ; à ma droite, Apollon, dieu de l’Intelligence, de la Beauté, de la Raison, à ma gauche, Déméter déesse de la terre mère et nourricière.
La nature (Déméter) est opposée à la culture (Apollon) et encore plus simplement dit; la nature opposée à la civilisation, à la ville.
Les civilisations proclament souvent leur préférence pour l'un ou pour l'autre: Les Grecs, la nature. Les Romains la ville.

« J’ai salué ce lieu, puis j’ai commencé. » A.G



Péroraison : dommage que l’humour ne soit pas très présent dans ces œuvres éphémères. Pourtant, l’humour est conciliable avec le respect et l’hommage à la nature. Je l’ai remarqué et encouragé, lorsqu’on travaille en groupe et avec les enfants en forêt, les œuvres facétieuses apparaissent très vite.

Terminaison : C’est difficile de définir exactement ce que sont ces artistes et ce qu’est le “Land-Art”, qui s’appelle suivant les circonstances “Earth Art”, “Art Végétal”, “Art In situ”, “Art Ecologique”, on a vu que ces pratiques flirtent tantôt avec l’horticulture, l’environnement, le jardin, la biologie expérimentale, la sculpture, le chamanisme, la poésie.

mercredi, février 07, 2007

Images d'Epinal des pauvres

















Les images d'Epinal... ce sont les images des pauvres.



Les images en papier que l’on épingle sur les murs ou que l’on roule à l’intérieur des coffres.
…et aussi, les images des autres villes au XIXe siècle.



Au XIXe siècle, les paysans pouvaient acheter facilement quelques images en papier. Auparavant, il y avait très peu d’images dans les maisons.
Les vendeurs d’images qu’on appelait les « colporteurs » d’images se déplaçaient à pied avec leur lourde charge dans le dos. Ils s’installaient sur les places des villages ou faisaient du porte-à-porte pour vendre les images de Saints à quelques sous.
Les gens achetaient Saint Blaise pour le mettre dans l’étable.
Saint Guérin était bien dans le grenier pour protéger les récoltes.
Saint Hubert protégeait de la rage, de la fièvre et de toutes les misères.
Regarder Saint Christophe augmentait l’espérance de vie d’autant.
Les douze apôtres imprimés sur trois feuilles juxtaposées et collées étaient installés autour des bois du lit…
C’est la Sainte Vierge qui avait le plus de succès. On la priait beaucoup, on lui parlait beaucoup.
À cette époque, les gens de la campagne croyaient à ces interlocuteurs directs capables de transmettre leur demande, il y en a même qui les dessinaient eux-mêmes plutôt que de laisser leur maison sans assistance. Les images étaient roulées, bien cachées dans l’étable ou à l’intérieur d’un coffre, le principal étant qu’elles aient été là pour se protéger des menaces.
On les appelait « images de préservation. »

Au dix-huitième siècle, il peut y avoir trois ou quatre images par maison, cela fait beaucoup de papier à fabriquer, beaucoup d’images à imprimer.



Voyageons dans le temps.


Le papier est arrivé en Europe au début du XVe siècle. Au Moyen-âge on utilisait le parchemin, c’est-à-dire la peau d’animal très fine. (Si c’était du veau, on disait « vélin ».)
(Ce sont les Arabes qui nous ont fait découvrir le papier, ils ont eu la recette par les Chinois qui, eux, en connaissaient la fabrication depuis le troisième siècle : soit un millénaire avant nous.)

Au XVe siècle, le papier est devenu de moins en moins cher, on en fabriquait à Arches et à Docelles. (On dit du « vélin d’Arches », mais c’était vraiment du papier). Les moulins à papier étaient fréquents dans les Vosges. Ce fut donc assez logique que des imprimeurs s’installent aussi dans le département.

On trouve des images religieuses à partir du XVe siècle en Europe, mais elles sont encore rares.

Epinal.


C’est au XVIIIe siècle, quelques années avant la Révolution, que Jean-Charles Pellerin crée une fabrique d’images imprimées grâce à des gravures sur des planches de bois que l’on appelle la xylographie.
Il faut une grande planche de bois fruitier. Le dessinateur trace un Saint, puis le graveur, (à l’aide d’une gouge,) enlève tout le bois autour des lignes dessinées, il peut avoir du travail pour deux ou trois mois. C’est un travail très minutieux réalisé souvent l’hiver.
Par la suite, à l’aide d’un rouleau, l’imprimeur dépose de l’encre noire sur la planche taillée. Seules les lignes sur la surface de la planche se couvrent d’encre.
Avec les enfants, regardez un chou rouge coupé en deux ; une planche gravée ressemble un peu à un chou rouge coupé en deux. Avec de la gouache épaisse, on peut imprimer toutes les lignes du chou. Il est possible d’imprimer avec des pommes de terre coupées, avec des carottes coupées, on peut tailler des motifs et les répéter.

Mettez une feuille de papier sur la planche gravée et encrée (ou sous le chou coupé, appuyez sur le chou) et passez l’ensemble sous une presse. Vous allez vouloir profiter du bois gravé (ou du chou) et désirer imprimer beaucoup d’images (une de chaque par enfant) ! Malheureusement, le bois n’est pas éternel (ni le chou), il finit par s’abîmer par la pression.

Vous voilà tout de même en possession de quelques centaines d’images de Saints (ou de deux douzaines de feuilles de chou) à vendre au porte-à-porte à moins de quatre sous le Saint (et à un euro le chou).


Fin du XVIIIe, c’est le début de la dynastie des Pellerin imagiers à Epinal.
(La Révolution française éclate en 1789, Napoléon est au pouvoir de 1799 à 1815.)
Pour se situer, les Grands de l’image de cette époque sont : Goya, David, puis, Géricault (le radeau de la Méduse date de 1819), Ingres, Delacroix.
Senefelder met au point la lithographie ♣, un procédé de reproduction des images qui va marquer le déclin des autres procédés.
Mais encore, les chimistes inventent et améliorent beaucoup la photographie de 1820 à 1850.

Les paysans n’ont pas beaucoup d’argent, les images pieuses ne peuvent pas être chères ; inévitablement, ce ne sont pas les grands artistes qui les dessinent, ils demanderaient à être beaucoup payés. Ce sont donc d’honorables artisans de province qui les fabriquent.
Elles sont donc plutôt gauches, frustes, naïves, elles portent toute l’empreinte de la tradition gothique. Mais ce sont des images sincères, c’est ce qui donne aux Images d’Epinal une originalité touchante.
L’art gothique c’était au XVe !
Les Images d’Epinal religieuses sont les images des pauvres .
Les dessinateurs n’étaient pas exceptionnels, moi non plus ! Ils copiaient les belles images qu’ils voyaient dans les grandes villes et il semble que les campagnards s’en contentaient, ils aimaient leur gaucherie et leurs couleurs vives déposées au pochoir ♥!
De toute manière le peuple ne peut pas avoir accès fréquemment aux belles images peintes à l’huile, elles sont dans les belles églises et les images gravées à l’eau-forte ♠ sont dans les demeures de l’aristocratie puis, au XIXe, dans celle de la grande bourgeoisie!

À la Révolution, la religion est bafouée.
Jean-Charles Pèlerin en bon commerçant sent le vent tourner, il arrête d’imprimer les images saintes quelques années puis, il emprunte à l’eau-forte l’idée de graver sur bois des soldats de l’armée napoléonienne, c’est un véritable succès qui va durer quelques décennies.
Pourquoi ce succès ? Les soldats et les familles des enfants de la patrie n’ont pas les moyens de se faire peintre en uniforme par les grands peintres habiles qui demandent très cher. Les familles aimeraient avoir le portrait de leur fils qui part pour sept ans dans l’armée ; une image imprimée et en couleur à bas prix fera l’affaire. Les habits sont très colorés, les détails des costumes sont respectés; c’est donc la réalité du régiment plus que la ressemblance individuelle qui est préférée. Le soldat achète son image et il l’envoie, il est entouré de la cantinière, du tambour et du sergent. C’était sans doute impressionnant pour toute la famille qui rêvait de leur enfant.
Somme toute, c ‘étaient de véritables images de propagande !
De la publicité pour le métier des armes.
Les jeunes bourgeois voyaient ces images d’un bon œil, elles réussissaient à inciter les jeunes hommes du bas peuple à revêtir l’uniforme, ainsi le bourgeois pouvait revendre facilement la malchance d’avoir été tiré au sort pour effectuer un service militaire de 7ans !

Après avoir été religieuses puis militaires, à la fin du XIXe siècle, les images vont devenir morales, anecdotiques, historiques, légendaires, décoratives, divertissantes pour enfants.



Jean- Charles Pellerin eut l’idée de diviser en compartiments la feuille d’image, le texte est placé dessous, il prend de l’importance, il devient indispensable.
On peut trouver quelques grandes signatures de l’époque notamment Caran d’Ache, mais je n’ai pas trouvé Benjamin Rabier, le plus grand dessinateur de l’époque celui de «La-vache-qui-rit »
À cette époque c’est une machine à vapeur qui entraîne les presses cylindriques qui ont remplacé les presses à pression verticale dites presse Gutenberg. Les rouleaux d’encre et d’imprimerie font les allers et retours sur les lourdes pierres de calcaire lithographique.
150 ouvriers travaillent dans cette fabrique.
En 1870, la France était belliqueuse et la clientèle avide de scènes patriotiques. Pinot bon dessinateur dessinera presque tous les soldats de la Troisième République, les conditions de vente sont exceptionnelles à cette époque.
Quand les troupes allemandes envahirent Epinal, ils achetèrent des images d’Epinal surtout les très grandes en deux morceaux qui reconstituaient le corps du militaire français debout: ils s’en servaient comme cible pour s’entraîner au tir.
En 1918, c’est la fin des haricots de l’imagerie Pèlerin à Epinal.
Subséquemment et partout, pour les enfants, les soldats de plomb remplacent les ribambelles de conscrits en papier à découper des imagiers.
Après la Seconde Hécatombe Mondiale, les matières plastiques remplacent le plomb dans l’aile, on peut acheter des bataillons entiers sous cellophane.
Aujourd’hui, l’enfant, deus ex machina, est acteur de ses batailles avec un joystick ergonomique.

♥ Le pochoir :

Colorier au pochoir consiste à faire le découpage dans un carton, d’un vêtement par exemple, pour y déposer de la peinture bleue rapidement et sans déborder. Les couleurs utilisées se réduisent à quatre ; le rouge, le jaune, le bleu et le brun. Quelques couleurs supplémentaires apparaissaient par superposition. Le coloriage au pochoir avait autant d’importance que la gravure elle-même. Les couleurs enchantaient, réjouissaient, fascinaient la clientèle populaire (peut-être bien autant qu’aujourd’hui les émissions de télévision clinquantes et trébuchantes…)

♠ La gravure

à l’eau-forte est un procédé qui permet plus de finesse que la gravure sur bois. L’eau-forte, c’est de l’acide qui creuse le métal là où le dessinateur enlève facilement avec son fin outil un vernis protecteur. La plaque est plongée dans un bain d’acide.
L’encre grasse est déposée dans les creux de la plaque, puis l’encre est récupérée sur le papier grâce à une forte presse. C’est fastidieux !
C’est l’aristocratie qui peut s’acheter les eaux-fortes et les peintures, pas le peuple.
Le plus grand dessinateur illustrateur graveur du XIXe c’est Gustave Doré ; il faisait graver et imprimer ces dessins par d’autres.

♣ La lithographie :

Vers le milieu du XIXe siècle, l’imprimerie Pellerin abandonna les planches de bois gravées, cette technique était devenue trop lente et dépassée par cette nouvelle grande invention qu’est la lithographie.
C’est un procédé qui permet de tirer les images beaucoup plus vite que la gravure sur bois, et, il est possible d’obtenir autant de finesse qu’avec le procédé de la gravure à l’eau-forte, bien trop lent pour tout le monde.
La lithographie est un système basé sur le principe de la répulsion de l’eau et de l’encre grasse.
Daumier a réalisé d’excellentes lithos pour ridiculiser les hommes de lois.

 Andy Warhol disait en 1968

« ce qu’il y a de formidable dans ce pays, c’est que l’Amérique a réussi à ce que les plus pauvres achètent la même chose que les plus riches. Tout le monde peut regarder la télé et voir la pub de Coca Cola, et tout le monde peut savoir que le président boit du Coca, tout le monde boit du Coca au même prix ; celui du clochard au coin de la rue n’est pas meilleur que celui de Liz Taylor. »
Pourquoi cette remarque ?
C’est parce qu‘au XIXe siècle il n’en va pas de même, tout le monde ne regarde pas les mêmes images ; les pauvres ont leurs images, les riches ont les leurs.
Les choses changent.