lundi, octobre 26, 2009

Cubisme/Braque/Picasso.

Attention!
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Ces images ont toutes été retouchées, si vous voulez voir un original cubiste naviguez sur un autre site.










Le cubisme.



« La géométrie est aux Arts Plastiques ce que la grammaire est aux écrivains. » Guillaume Apollinaire en 1906




1425-1870.


Presque cinq siècles de règles, d’équerres et de compas pour rendre l’espace perspectif sur une toile, il y en avait marre !
Cinq siècles à regarder les objets avec un seul œil et les peindre avec les deux, ça suffit.

1906.


D’autant plus que la photographie borgne depuis une cinquantaine d’années se chargeait de la perspective mieux que les peintres.
« Il y en a marre, on a autre chose à peindre sur nos toiles que les choses que tout le monde peut photographier ! »

Picasso se rend à une exposition « d’art nègre », il s’éprend violemment de ces formes rustiques et élémentaires. Certaines sculptures africaines sont faites de surfaces concaves et convexes qui se contredisent. Par exemple, les yeux, le nez et la bouche peuvent être taillés en volume dans la surface concave du visage, l’inverse, donc ! Cette constatation entre autres, va être radical pour lui. C’est cette année qu’il commence et termine un grand tableau baptisé le «bordel philosophique» et qui deviendra «Les Demoiselles d'Avignon». C’est une toile extravagante faite de corps déformés et de masques nègres qui stupéfie tout le monde.
«Ce tableau est une entreprise désespérée. On retrouvera un jour Picasso pendu derrière.» Assène un de ses amis.




Un peu plus tard.




Braque décide… Enfin pas vraiment, mais il fait une peinture si surprenante que ça donne à Picasso l’impression de boire du pétrole. La peinture de Braque est imbuvable, elle est sombre, les couleurs sont étouffées, sinistres, les plans sont resserrés.
Comment cette idée est arrivée à Georges Braque qui est suivi comme par son ombre par le grand Pablo Picasso qui aura toujours du flair pour s’engouffrer dans les nouvelles voies en art.
À moins que ce soit l’inverse ? Ils ont vécu une grande amitié de sept ans. Picasso dira que « Braque est la femme qui l’a le plus aimé. »
Bon ! C’est vrai que tout le monde marche dans les pas d’un autre.
Braque lui aussi emprunte et c’est bien ainsi qu’avance la civilisation.
Finalement, c’est l’inverse! « Ta peinture, c’est comme si tu voulais nous faire boire du pétrole pour cracher du feu ! » Disait Braque à Picasso.



Braque a bien compris la leçon assénée depuis une décennie par Cézanne. Il a appris par cœur la litanie, il se met au travail ; « Des sphères, des cônes et des cylindres, il n’y a que cela dans la nature, faites-en, ne faites que cela. Un bras c’est un cylindre éclairé, une maison c’est un cube avec un chapeau en pyramide, le tout avec un bel éclairage et en respectant les camaïeux que l’on voit sur les rochers dans les sous-bois comme lui ont appris les Impressionnistes, »

«Cézanne s'était emparé de moi, expliquera Braque. Et, après, il a fallu s'en défaire. La découverte de son travail a tout fait culbuter. J'ai dû tout renverser.»
« … Pourquoi ne pas être logique et ne pas admettre que notre vrai but est de construire, non de copier quelques objets. »
Construire la peinture, voilà qui est nouveau ! Comme si leurs toiles plates allaient se hérisser de facettes des guitares, des violons et des cruches peints.
Depuis la renaissance, on parle d’illusion de la réalité sur la toile. Et, avec les cubistes, on construirait l’objet avec et dans la peinture ? Du coup, ça ne gênera pas les cubistes de coller des papiers imprimés sur la toile.

Tout le monde a déjà vu une toile cubiste, tout le monde sait ce qu’est le cubisme, tout le monde le sait parce que c’est facile à comprendre, tout est préréglé que s’en est devenu rebutant de méthode.




Voici les règles à respecter si vous voulez peindre cubiste :

• Réduction de l’objet à des formes géométriques.
• Le volume explose en mille facettes comme un diamant.
• Reconstruction du motif par plans superposés.
• Camaïeux de gris beige de bruns et d’ocres. Les couleurs vives ont disparu.
• Un tableau cubiste, c’est comme un puzzle à reconstituer
• Le peintre cubiste multiplie les points de vue des objets.
• On finit par ne plus pouvoir identifier l’objet.
• L’ensemble du tableau fait l’effet d’un géométrisme écartelé.
• La peinture cubiste est assez hermétisme.
• On pourrait penser à un démontage et à un remontage ordonné des objets.
• Les objets représentés simplifiés semblent éclatés ou cassés.
• Diverses expériences avec des papiers collés.
• Nos toiles sont comme des esquisses, des recherches les unes sur les autres, à côté les unes des autres, comme pour retrouver les bonnes formes.
• La grande invention de la peinture cubiste, c’est la cristallisation en une seule image de plusieurs points de vue d’un même objet pris sous des angles divers.

• Notre vrai but est de construire, non de copier quelque chose.
• Une toile cubiste ne représente pas l’objet que le peintre voit mais des signes construits par son esprit.

• C’est la différence entre « une chose VUE et une chose SUE » selon le jeu de mots du poète Apollinaire.


Ces règles de peintures sont assez sévères !

Elles n’ont pas pu perdurer, mais une de leurs lois a marqué définitivement la peinture et a permis de couper court avec le rouleau compresseur des lois des cinq siècles de la Renaissance :
Le droit de ne pas respecter la réalité comme l’appareil photo la voit actuellement.

Voilà, maintenant vous savez tout ce qu’il faut pour faire une toile post-cubiste.
C’est toujours plus facile d’être postcubiste qu’antecubiste comme le fut Cézanne.
Peindre cubiste ne se fait plus beaucoup, alors que peindre impressionniste est encore une activité lucrative, c’est plus coloré, plus sécurisant… Regarder une peinture cubiste de nos jours c’est encore «boire du pétrole ».



Guernica est un tableau cubiste, mais à cette époque en 1937, Picasso est sans doute le seul peindre à peindre de cette manière.
La grande époque du cubisme se situe entre 1906 et 1920, mais attention, il n’y a pas de limites franches.


Post-scriptum.


« Je peins les choses comme je les pense, pas comme je les vois » Picasso.
Picasso se contredit un peu. Il dit qu’il peint ce qu’il pense, alors que l’on remarque bien qu’il a observé le violon, on voit bien qu’il a tourné autour, qu’il la tourné à cent quatre-vingts degrés, qu’il a apprivoisé le violon et qu’il en avait maintenant une bonne mémoire.
Son violon peint c’est autre chose qu’une représentation d’un violon, c’est un symbole, une création pure plus même qu’une réinterprétation. C’est certain qu’à travers cette démarche, Picasso a saisi les principes esthétiques de l’art africain et en ce cela, c’est une attitude très nouvelle envers les Arts Premiers.


« Je ne pourrais jamais représenter une femme dans toute sa beauté naturelle, je n’ai pas l’habileté, personne ne l’a. Je dois par conséquent créer une nouvelle sorte de beauté » Georges Braque

« Nous avons essayé de nous débarrasser du trompe-l’œil pour trouver le trompe-l’esprit. » Pablo Picasso.


















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vendredi, février 20, 2009

Tinguely/Calder/Duchamp









« L’immobilité n’existe pas. » Tinguely.


Roue sur le feu.


« En 1913, j’eus l’heureuse idée de fixer une roue de bicyclette et sa fourche, à l’envers dans le trou d’un tabouret de cuisine. J’eus l’idée de faire cela pour la regarder tourner.
J’aimais l’idée d’avoir une roue de bicyclette dans mon atelier.
Je prends plaisir à la regarder tourner, tout comme j’aime regarder les flammes danser dans une cheminée. C’est simplement une distraction fascinante et incessante. »

Au début du siècle, les vélos sont encore rares, cela devait être une véritable fascination que de faire tourner une si belle roue sur elle-même!



Pisser dans un violon.


«Cela m’a encore plus amusé de placer cette roue dans une salle d’exposition, ça dérangeait la bourgeoisie qui venait voir tout autre chose ; des personnages moulés en bronze ou sculptés en marbre, mais pas une roue de vélo qui tourne, encore moins un urinoir ! »
« Je suis un voleur d’objet, je les dépose ailleurs, là où ils ne devraient pas être, surtout pas dans un musée, alors je les mets dans un musée. Personne n’a eu envie de les conserver. Ils sont tous passés à la poubelle. »
Librement adapté de Marcel Duchamp.



Roue qui roule.


Quand une roue tourne à une certaine vitesse, il y a quelque chose d’hypnotisant et de mystérieux à voir disparaître sous nos yeux les rayons de la roue.
Enfant, nous avons essayé de comprendre.
Pourquoi les rayons disparaissent-ils ?
Déjà Géricault le peintre du Radeau de La Méduse (1818) regardait avec une extrême perplexité les roues des chariots tirés par les chevaux.
Comment les peindre?
Comment dessiner cet effet sur le papier ?
Géricault peignit des chevaux au galop avec les quatre sabots en suspension, alors qu’on sait maintenant, par la photographie qu’un cheval n’est jamais dans cette position.



Fusil photographique.


C’est Marey, un photographe qui a eu l’idée d’installer des ficelles espacées au sol pour qu’elles déclenchent chacune un appareil photo placé sur le parcours de la course des sabots du cheval. Il arrête ainsi régulièrement un cheval au galop.
La vision de l’homme est trop lente, il ne voit pas les ailes des abeilles qui volent.
La photographie a permis de voir ce que l’œil ne peut pas voir ; une suite d’images fixes d’un cheval qui galope.




Train arrivant à La Ciotat.


En 1895, les frères Lumière ont présenté le film d’un train arrivant en gare. Les spectateurs dit-on se sont caché sous les sièges pour éviter la locomotive qui arrivait de face en grossissant monstrueusement sur l’écran, comme si elle allait continuer son parcours dans la salle de cinéma.
Qu’ont pensé les artistes peintres de cette époque de ces premiers films?
« Cette invention est sans avenir » ont dit les frères Lumière à Georges Méliès qui voulait en acquérir les brevets, ça ne peut intéresser que les scientifiques.
Mais les artistes ?
Peut-être se sont-ils dit qu’il y avait une deuxième révolution en peinture à ne pas rater.
La première révolution a eu lieu à la Renaissance : les artistes inventent la profondeur d’une surface plane. Ils créent l’illusion d’un espace sur une toile, c’est presque incroyable !
La deuxième révolution est pour eux : ils vont donner l’illusion qu’il y a du mouvement sur leur toile. Ils vont piéger le temps qui passe. Leur peinture donnera à la fois l’idée de profondeur et l’idée du temps qui passe, donc de mouvement.




Le nu est dans l’escalier.


Le « Nu descendant un escalier » de Marcel Duchamp, (1913) est une peinture qui montre un personnage robotisé qui descend des escaliers. Il a la qualité d’être encore sur la première marche alors qu’il est déjà presque en bas. Autrement dit, il est partout à la fois en facettes sur l’escalier, de plus, il est de la couleur du bois de l’escalier. C’est donc plus un mannequin d’étude d’élève d’école de dessin* qui descend un escalier.
* (Appelé aujourd’hui O’Cédar )
Cette silhouette brune à facettes disloquées est en quelque sorte l’équivalent peint d’une photographie à « effet stroboscopique* » de Marey ou de Muybridge.
*Technique permettant la visualisation de phénomènes trop rapides pour être suivis par l'œil.



Mais attention ! Ne pas confondre les deux types images. Les visées sont différentes : les photographes scientifiques que sont Marey et Muybridge veulent comprendre le mouvement, alors que Duchamp espère nous toucher autrement : il nous parle peut-être de la condition humaine ; le nu mécanique descend indéfiniment…Il ne pause pas, il ne monte pas vers le ciel comme dans une peinture religieuse. Les deux hommes recherchent chacun à leur manière à nous apprendre quelque chose, ils sont complémentaires.
Néanmoins, sans doute y a-t-il eu des réactions emportées entre les photographes, les cinéastes, les peintres et les sculpteurs. La civilisation avance par action et réaction.
Ce qui est à remarquer, c’est qu’à la fin du XIXème siècle, les sculpteurs et les peintres que l’histoire retient aujourd’hui ne représentent jamais plus le corps humain de manière réaliste comme le faisait encore Rodin en sculpture et Renoir en peinture.
C’est Picasso qui ouvrera d’autres voies en peinture.
Et c’est Brancusi qui perturbera tout en sculpture.




Guitare disloquée.


Regardez une toile cubiste qui représente une guitare. C’est une guitare peinte qui a été vue par un observateur qui s’est déplacé régulièrement en un certain temps autour de cette fameuse guitare, il l’a même retournée pour en saisir tous les détails qu’il a peints côte à côte.
Le peintre a très justement pensé qu’on ne voit pas tout l’instrument d’un seul coup d’œil ; si l’on voit les cordes, on ne voit ni le dos ni l’intérieur. Partant de ce principe, il a essayé de donner, en une seule peinture, le plus d’informations possibles sur la guitare, ce qu’il ne peut pas faire en une seule fois en photographie, ça les rendait plus fort que les photographes.





Plus vite sur le front ; allons-y en vélo.


En 1909 en Italie, Marinetti aime la beauté du monde moderne qui naît du mouvement :
« Une automobile de course avec son coffre orné de gros tuyaux tels des serpents à l’haleine explosive… Une automobile rugissante, qui a l’air de courir sur de la mitraille, est plus belle que la Victoire de Samothrace. »

C’est l’esthétisme de la vitesse qui plaît aux membres du groupe Futuriste italien. Dans son amour excessif pour la machine, Marinetti imagine un être non humain et mécanique, vivant dans un univers électrique et métallique. Certains films de science-fiction actuels traitent le même sujet?



Œufs sur le plat.


J’ai toujours considéré les tableaux de Kandinsky de sa période munichoise comme étant en mouvement, je les ai toujours vus comme des nuages colorés, superposés, ombragés, organisés et zébrés, défilant à des vitesses différentes. Ses tableaux sont pourtant tous immobiles dans les musées : incapacité du peintre en 1912 à peindre réellement le déplacement des formes et des couleurs sur la surface de la toile, il n’y pensait pas. Il a eu recours à des systèmes empruntés à la bande dessinée ; il ajoute des petits traits ou des traînées à l’arrière des formes. Quelquefois il ne ferme pas sa figure, cela lui donne l’impression de tourner sur elle-même. Il peut peindre des amas de couleurs floues, ce qui donne un effet de « bougé » comme sur certaines photographies. Il ne peint pas le sol, cela donne l’impression à ses figures de voltiger sans cesse.




Œufs qui bougent.


« Pourquoi l’art devrait-il être statique ? » Alexandre Calder (1932).
En regardant une œuvre abstraite, qu’il s’agisse d’une sculpture de Brancusi ou d’une peinture de Kandinsky, nous voyons des formes, des sphères, des ovoïdes, c’est peut-être bien, mais c’est immobile.
« Comme ce serait beau si tout se mettait à bouger… » Calder.



Calder le voleur de pesanteur.


Un souffle, un balancement, un équilibre..., déséquilibre ; quinze articulations différentes régissent les légers mouvements d’un « Mobile », c’est Duchamp qui a ainsi baptisé ses assemblages.
Calder fabriqua des jouets, il étudia la mécanique, c’est sans doute pour cela que dans les années 30, il eut l’idée de faire bouger une sculpture avec tant de poésie et de sens pratique.

« L’important, c’est que le mobile attrape le vent. Un mobile, c’est comme un employé de la fourrière. C’est un employé de la fourrière pour le vent. Comme un employé de la fourrière attrape n’importe quel chien, le mobile attrape n’importe quel vent qu’il soit bon ou mauvais. Moi-même je suis comme mes mobiles, quand je suis dans la rue j’attrape aussi des choses. »
Calder.
Les sculptures de Calder deviennent de plus en plus gigantesques, de quelques centimètres au début elles vont monter jusqu’à trente mètres de haut. Il installera ses « Stabiles » un peu partout dans le monde, sortes de grosses araignées noires, parfois rouge comme celle qui est installée dans le quartier de la Défense à Paris. Construire de telles sculptures est à chaque fois un défi technologique qui passionne Calder, grand admirateur des constructions navales à rivets desquelles il s’inspire.
Les mobiles et les stabiles d’Alexandre Calder sont silencieux, Jean Tinguely, lui, va rendre ses machines très bruyantes. Avec lui les musées ne seront plus silencieux.




Roues et poulies.


« Je pouvais peindre pendant des mois, jusqu’à usure totale de la toile, je n’arrivais pas à décider le moment d’arrêter la putréfaction de la peinture. C’est quand j’ai compris cela que le mouvement s’est imposé à moi ; j’ai voulu échapper à cette putréfaction. »
Phrase adaptée de Tinguely (1960).

Les premières sculptures de Tinguely de 1950 ne sont que des reliefs muraux abstraits faits de rouages, de fil de fer et des petites plaques de métal de couleurs vives, le tout actionné par une manivelle. Il est proche des bas-reliefs cubistes. Puis, les machines de Tinguely deviennent bruyantes, pétaradantes ; elles sont animées par un système de rouage, de poulies, de courroies qui transmettent le mouvement de rotation et de bielles. Certaines machines peuvent dessiner de manière maladroite. En 1970, ses machines deviennent énormes : une dizaine de mètres. Elles ne servent à rien, elles sont inutiles, elles sont absurdes. « L’Etude pour une fin du monde N°2», un assemblage monumental installé dans le désert du Nevada, disparaît juste après qu’un photographe l’eut immortalisé.
Tinguely déteste l’objet neuf produit par la société de consommation, il ne fait que récupérer les matériaux industriels qui se jettent.




samedi, janvier 17, 2009

Autoportrait/Rembrandt/Artémisia






Vous me vexeriez si vous m'agrandissiez pas quelques images lors de la lecture!






L'autoportrait






Le plan d’eau.


Le premier, à avoir « vu » son double c’est Narcisse, un bel homme.
Le premier à avoir « entendu » son double c’est Echo, une belle femme.

Narcisse qui boit à une source, voit son reflet dans l'eau et en tombe amoureux alors qu’Echo, une belle fille à proximité lui fait des oeillades.
Narcisse subjugué par son image et sa propre beauté reste de longs jours près de la source à se contempler et à désespérer de ne jamais pouvoir « honorer » sa propre image. A ses côtés, Echo est délaissée comme une cruche. Ce nigaud de Narcisse tel un poisson piégé par un miroir immergé prend son image pour un amoureux qu’il désire ardemment.
Il se pâme, il dépérit puis il meurt.
À l'endroit où l'on retire son corps, on découvre des fleurs blanches, des narcisses.
Narcisse se contemplant dans son miroir, c’est le premier autoportrait ; le plus tragique, c’est le seul qui en soit mort. Dürer, Picasso, Van Gogh, Bacon, Rembrandt, Cindy Sherman et Artemisia Gentileschi n’en sont pas morts.

Toutefois, au-delà de ce narcissisme, l'autoportrait fut une manière commode d'exercer sa technique, c’est un modèle que l’on a sous la main.

La reconnaissance de l’image chez l’enfant et chez l’animal.


C’est seulement vers le quatrième mois que l’image réfléchie par la glace semble être vu par le bébé, sans d’ailleurs que cela éveille chez lui un intérêt. Puis, quelques semaines plus tard, il regarde son image comme il le ferait d’un étranger réellement présent dans la pièce, un étranger qu’il verrait pour la première fois. Quelques jours après, il lui sourit…
Il faut attendre le sixième mois pour que ce soit plus franc ; l’enfant sourit à son image et à celle de son père, mais il se retourne tout surpris quand il entend la voix de son père. Il n’avait donc pas encore su faire coïncider dans le temps et l’espace les deux images avec sa réelle présence et celle de son père derrière lui.
Lorsque l’on veut s’assurer que l’enfant a pris conscience que c’est son image qui est dans le miroir, on lui marque à son insu une pastille rouge sur le front.
Vers trois ans, tous les enfants voient la pastille dans le miroir et ils considèrent que c’est eux-mêmes qui l’ont imprimée sur le front ; soit ils portent leur main sur le front pour l’enlever soit ils manifestent à leur interlocuteur qu’ils ne sont pas dupes de cette décoration qu’ils ne sentent pas.
Qu’en était-il de Narcisse lorsqu’il s’est miré? Se reconnaissait-il ?
Certains animaux réagissent différemment. Un canard ayant perdu sa compagne a passé le restant de sa vie contre la fenêtre d’un soupirail, côte à côte avec sa propre image reflétée.
Certains moineaux peuvent se jeter régulièrement sur les pare- brise des voitures en croyant qu’un rival coexiste avec lui dans la même zone.
Le bar, un poisson, se précipite sur le miroir immergé au bout d’une canne à pêche de façon à chasser l’intrus.
Mon chien est allé me chercher derrière le miroir mobile de la pièce alors que j’étais placé silencieusement derrière lui à quelques mètres du miroir.

L’écran numérique.


Avec le téléphone portable, tout le monde peut faire son autoportrait ; envoyez c’est pesé ! C’est presque plus simple que de sortir son miroir de poche pour se recoiffer avec la main.
Le téléphone ne fait pourtant pas miroir.
Impossible de se faire un brin de beauté avec son téléphone, il fait seulement miroir du différé, du léger différé si on veut, clic, une seconde.
On peut donc se recoiffer par l’intermédiaire de son téléphone, mais l’image du téléphone est souvent située derrière l’objectif/œil.
Aujourd’hui, on peut s’autoportraiturer à qui mieux mieux, il n’en a pas toujours été ainsi.

Ayons une pensée pour le jeune Albrecht Dürer qui nous a laissé son autoportrait à quatorze ans sans téléphone portable, seulement avec son crayon, du papier et un miroir.



Ils ne sont pas nombreux les jeunes génies artistes à avoir laissé leur trombine pour la prospérité.
Je ne suis pas certain que Rembrandt se soit dessiné aussi jeune que son aîné d’un siècle, Dürer ?
Rembrandt s’est pourtant gravé et peint, très jeune et espiègle, peut-être pas à quatorze ans, mais peu importe l’âge.
Rembrandt s’est représenté sur la toile devant un miroir une centaine de fois durant sa vie.
C’est la première fois dans l’histoire de l’humanité que nous avons la possibilité de voir un homme à tous les âges de sa vie; il s’est dessiné ou peint régulièrement.




On le voit faire le pitre devant l’objectif, heu non ! devant son miroir, puis il s’assagit, et lorsque qu’il devient vieux, il ne se rate pas ; il se peint couperosé, cassé en deux.
Récemment, une amie m’a demandé de lui envoyer une photo de moi. Ça faisait dix ans que nous ne nous étions pas vu ; j’ai hésité, j’ai 60 ans. Contraint, je me suis photographié avec l’œil de mon MacPro. Six clics, six clichés, pas très satisfait, j’en ai tout de même envoyé une by email.

Rembrandt nous donne sa vie en pâture, c’est émouvant. Il faut voir le magnifique film d’une demi-heure consacré à Rembrandt par Alain Jaubert dans la série Palettes.
Abandonnez la lecture de ce texte si vous avez vu ce film, je ne vous apprendrai rien…

La toile/écran peinte.


Beaucoup d’artistes se sont tiré le portrait, seuls ; ils se sont peints eux-mêmes.
Vraiment beaucoup l’ont fait, ça devait être tentant alors que toutes les autres personnes dans l’entourage étaient maladroites avec leur crayon.

Mais attention ! L’autoportrait c’est une self-photo, c’est un self-dessin.
Lorsque vous vous dessinez, vous êtes seul devant le miroir.
Lorsque vous vous photographiez, vous êtes devant un objectif.
Dans les deux cas, c’est un dispositif relativement complexe qu’il faut mettre en place.
Pour un autoportrait en peinture :
N’ayez pas une fenêtre sur la droite qui vous éclaire et vous donne constamment l’ombre de votre main droite sur la toile qui peint qui passe et repasse sur la toile du chevalet.
Ayez donc une fenêtre sur la gauche.
Installez le miroir en face à droite ou à gauche…
Bien sûr cela va dépendre si vous êtes gaucher ou droitier, l’un ou l’autre, il faut tout inverser.

La vitre miroir.




…Et lorsque vous vous serez peint, vous laisserez croire aux spectateurs que vous êtes gaucher, alors que vous êtes droitier puisque vous avez recopié fidèlement l’image spéculaire du miroir.
Lorsque l’on regarde l’autoportrait d’un peintre, on remarque qu’il a souvent une palette dans la main. Il la tient par le pouce passé dans le trou. Du trou, les pinceaux en attente sont maintenus obliquement. Sur la toile, le pinceau qui peint est à droite pour un peintre gaucher.
Heureusement, nous savons de quelle main ont peint les peintres assez modernes. Nous en sommes sûrs... Et c’est heureux car certains peintres qui se sont portraiturés ont poussé le souci du détail jusqu’à inverser leurs mains sans pour autant inverser leur visage.
Oui, le visage, nous le savons, n’est pas tout à fait symétrique ; moi qui vous bafouille, je peux vous avouer que j’ai le nez légèrement de travers et l’oreille gauche plus décollée que la droite. Il doit bien y avoir d’autres détails dissymétriques.
Mais, au-delà de ces facétieux détails d’inversion qui n’ont pas beaucoup d’importance somme toute, il faut avoir bataillé à cet exercice de dispositif de peinture pour avouer que c’est bien difficile de se dévisager dans le miroir avec concentration. Se fixer avec les deux yeux examinateurs et passer immédiatement sur la toile blanche avec un regard calculateur qui va donner des ordres aux pinceaux colorés inquiets.

La postérité peut continuer à regarder l’attitude du jeune Rembrandt lorsqu’il fixe son miroir d’un air presque imbécile ou ahuri. Il s’est dessiné presque en mouvement, les yeux grands ouverts comme s’il se découvrait à chaque coup d’œil qu’il donnait sur le miroir.
Je pense à quelques gravures en particulier, à chaque fois qu’il passe, de la concentration à peindre sur la toile, au miroir, il tourne la tête d’un angle latéral de 30 à 40 degrés, il est surpris par son regard examinateur.
Son génie est d’avoir rendu avec exactitude son propre regard piégé au centième de seconde, comme un appareil photo moderne. Lui, bien évidemment à cette époque, ne sauvegardait mentalement que partiellement l’image mentale du miroir quand il virait son regard de 30 degrés sur sa toile pour peindre …
Rembrandt n’a pas cette attitude débile sur tous ses autoportraits, loin s’en faut !

Faire le portait de quelqu’un d’autre est un autre exercice bien plus simple. Le modèle peut garder assez longtemps son expression faciale puisqu’il n’a que cela à faire. Le modèle peut aussi se reposer et reprendre sa mine réjouie ou son air de croque-mort lorsqu’on lui demande. Le modèle peut relâcher son regard, son sourire pendant que le peintre dessine ses mèches, son oreille, son menton.



Bien plus simple à peindre un portrait qu’un autoportrait.Quoique !
Francis Bacon n’arrivait pas à peindre en présence de ses modèles « Cela m’inhibe parce que je ne peux pas opérer devant eux l’atteinte que je leur inflige dans mon œuvre. »
Il travaillait donc ses portraits à partir de photos.
Peut-être a-t-il opéré de la sorte pour ses autoportraits ?
 « Je préfère opérer en privé l’atteinte par laquelle il me semble pouvoir enregistrer plus nettement leur réalité. »
Francis Bacon s’est sans doute autoportraituré sans le dispositif avec miroir dont j’ai parlé ! Il a sans doute seulement eu sa photographie épinglée devant lui sur le mur à quelques dizaines de centimètres de sa toile.
…J’en connais deux qui se serait bien foutu de sa gueule; Dürer et Rembrandt !
Pas si sûr !
L’autoportrait de 1971 de Bacon… il est d’un tout petit format. Il révèle un homme tourmenté par le doute qui aurait ému ces deux maîtres.
Dans cet autoportrait bien équarri, Bacon s’est débarrassé du narcissisme de la plupart des artistes. Il a les yeux baissés, les paupières mi-closes, il n’y a pas d’artifice derrière lui, c’est noir, il n’y a aucun indice, on devine un col. Le visage de Francis Bacon semble malaxé comme par plusieurs mains invisibles qui le comprimeraient à plusieurs endroits du visage. Les coups de pinceaux larges en arc de cercles sont violents.
• On ne voit pas les coups de pinceaux dans les chairs des autoportraits de Dürer, même si on se rapproche à quelques centimètres de son nez.
• On voit les coups de pinceaux de Rembrandt lorsque l’on se trouve à un ou deux mètres de ses chairs.
• Chez Bacon, on peut compter les grands coups de pinceaux.

Ces différentes factures conditionnent le ressenti du spectateur. Le spectateur ressent aussi en fonction de la texture de la pâte et des linéaments.

Il y a sans doute autant de différence entre ces trois types d’autoportrait que deux autoportraits de photographes, l’un flou, bougé, l’autre figé net et très piqué.

Que ce soit pour les trois peintres ou les deux photographes, je n’émets pas de jugement de valeur, je ne fais que constater les effets. Il y a des ressentis différents dans ces cinq cas de figures.
Restons-en là.

Dürer s’enthousiasme pour l’estime dont l’artiste jouit à cette époque ; « Les grands maîtres se trouvaient au même niveau que Dieu. »
Bacon, lui, est peintre du désespoir de la condition humaine sartrienne. Il n’attend pas grand-chose de l’homme.
Dürer dans l’autoportrait à la pelisse imite le Christ, il se considère comme un Dieu créateur et démiurge dans la lignée des théories italiennes de la Renaissance; l’Humanisme, l’homme a pris le pas sur Dieu ; « Car je le vaux bien ! »
En revanche, Rembrandt, au travers de sa centaine d’autoportraits est un homme ordinaire, presque disgracieux. Il le dit, il se burine le visage, il vit, c’est un fou de peinture. Il n’est à la botte de personne. Le meilleur modèle qu’il ait, pour s’entraîner et augmenter sa virtuosité, est sa propre personne en habit de travail négligé ou affublé de vêtements déclassés hors mode.

Je ne suis jamais la fille que je photographie.


Vers 1980, Cindy Sherman, cette blonde de trente-deux ans est devant son miroir, elle se photographie.
« Je ne suis jamais la fille que je photographie. Je peux imaginer certaine situation, mais jamais je me sens devenir celle que j’incarne. Je prends toujours assez de distance entre ce personnage-fiction que je me construis devant la glace et moi. »
Ses photographies sont ambiguës, elle est tour à tour femme de chambre, vedette de cinéma, auto-stoppeuse, etc. Aujourd’hui, en 2000, elle resserre les plans sur son visage. Elle ne photographie que des visages monstrueux, des têtes grimaçantes, des visages tuméfiés, toujours des autoportraits.



Cindy est une femme qui décoiffe, je fais allégrement un bond dans le temps, je recule de quatre siècles.
Artemisia Lomi Gentileschi (1593/1652), une brune de trente deux ans, s’est peinte en un autoportrait impressionnant. Elle est devant sa toile, elle écarte les mains, la main la plus haute tient un pinceau. Elle est presque vue du dessus puisqu’elle est penchée vers nous. Elle s’est peinte en clair-obscur. Elle est un peintre de cour à succès ce qui est rare. Notre vingtième siècle ne nous a pas enseigné qu’une femme puisse peindre avec le même statut qu’un Vélasquez.
Artemisia ne fait jamais dans la dentelle : son tableau le plus célèbre est Judith décapitant (froidement) Holopherne qui est sans doute une vengeance peinte de son vrai viol et du procès humiliant qui s'ensuivit. On croirait que la tête dépasse de la toile et va tomber sur le parquet du musée !




Van Gogh et ses effets mystérieux.


« J’éxagère le blond de ma chevelure, j’arrive aux tons orangés, aux chromes, aux citron pâle.
Derrière la tête au lieu de peindre le mur banal du mesquin appartement, je peins l’infini. Je fais un fond simple du bleu le plus riche, le plus intense, que je puisse confectionner, et par cette simple combinaison ma tête, éclairée sur ce fond bleu riche, obtient un effet mystérieux comme l’étoile dans l’azur profond…
Les bonnes personnes ne verront dans cette exagération que de la caricature.
Mais je m’en fiche quand je pense à Francis bacon qui tartinera bien plus que moi ! »

Extrait d’une lettre à peine retouchée et j’invente une suite.

« La plupart du temps, les bonnes gens admirent un autoportrait parce qu’ils en admirent la prouesse technique qu’ils ne savent pas exécuter mais, ils ne se rendent pas vraiment compte que se dessiner c’est se mettre à nu. Ce n’est pas forcément de l’orgueil. Comment arriver à se révéler? Que laisser échapper de soi ? Quelle expression choisir ou au contraire, comment s’en détacher ? »

Selon Plutarque, le sculpteur Phidias du Parthénon aurait fait preuve d’une audace insensée en se représentant dans une foule vers 438 avant notre ère.
Cette audace ne pose plus aucun problème aujourd’hui, on se demande même pourquoi il y a eu hésitation à s’auto représenter ?