lundi, février 09, 2015

Niki Nanas Carabine






L’œuvre de Niki de Saint Phalle   (1930-2002) est facile d’accès si j’en jauge le nombre de personnes qui ont vu cette rétrospective à Paris fin 2014, début 2015.



"Si mon ouvrage plaît tant, c'est qu'il doit y avoir quelque chose qui ne va pas." disait Alban Berg pour son premier opéra "Wozzeck" (1925) qui a remporté un grand succès. 
Niki de Saint Phalle aurait-elle aussi été dérangée par trop de succès ? 
Je ne sais pas.
Je pense que nous allons bientôt voir toutes les Nanas sur les calendriers de la poste.
Ce n’est pas une critique que je fais là, c’est plutôt de l’humour  moqueur panurgien…

Je constate seulement que le temps qui passe aide à assimiler les œuvres plus ou moins sulfureuses que ce soit de Niki ou d’autres. Pour elle, il a fallu 50 ans de 1960 à 2014.
Pensez seulement aux peintures des Impressionnistes qui faisaient scandale en 1875. Elles sont maintenant sur les tasses à café, les serviettes jetables, les almanachs. Tout le monde aime Monet et surtout Van Gogh, qui détient le pompon. 
Ah, s’ils s’en étaient doutés! Contents, pas contents ? 
Je pense aussi aux filles bleues de Matisse qui tapissent les murs des hôpitaux.

Les Nanas de Niki datent des années soixante, soixante dix … 
Il existe une protection intime féminine qui porte ce nom (1). 
Le mot nana pour désigner les filles, les femmes est bien sympathique, pas de doute (2). Ce qui est un peu moins sympa, ce sont les lourdeurs de ces femmes colorées faites de résine de polyester (5).  
Les femmes de cette époque et celles d’aujourd’hui ne souhaitent pas être aussi enveloppées, gros seins, gros ventre grosses fesses. Ce n’est donc pas la plastique de ces femmes qui plaît, c’est ce qu’elles représentent et aussi les rehauts de couleurs bariolées qui électrisent le spectateur. Elles sont  exubérantes, dynamiques et vivantes. Ces femmes presque monstrueuses sont souvent en mouvement, elles dansent comme les femmes de Picasso sur la plage.

Pierre Descargues ne dit pas du tout cela en 1965 : 
« ...aussi enjouées soit-elles, ces nanas inspirent une certaine angoisse dans les milieux artistiques masculins. Les nanas font la fête, c'est à nos dépens Messieurs, que ça se passe. Elles nous piétinent le ventre, l'armée, la morale, elles nous sautent sur la philosophie, elles nous font le grand écart sur la patrie [...] Niki de Saint Phalle sait se servir des armes  féminines. » 



Niki Nana n’est pas la seule à représenter les  femmes aussi bien en chair. Rubens n’a pas fait de sylphide. Renoir non plus, le sculpteur Maillol encore moins. Botéro serait un annonciateur ?  
Nenni, les "Vénus" préhistoriques qui n’ont rien à voir avec la Vénus de Botticelli sont les plus grosses de toute l’Humanité, afin, de ce que l’on en connaît. Les Vénus Jomon japonaises sont elles aussi bien enveloppées (quand on ne leur a pas fait de césarienne (3).
C’est sans doute la fécondité qui prime et qui plaît lorsque l’on regarde les filles de Niki gonflées et multicolores. 
Après 1975, les femmes peuvent avorter (6), elles choisissent leur grossesse, pas toutes bien sûr, pas encore mais, elles sont libres d’avoir un gros ventre et des seins plein de lait quand elles le souhaitent, enfin presque…  Cette artiste déterminée est  là pour matérialiser le rêve des femmes libres. 
Celles qui ne sont pas libres ne le savent pas, c’est seulement aujourd’hui qu’elles s’en rendent compte en aimant le travail   de Niki… (Niki = Marie-Agnès, ça fait moins artiste …)

Ces sculptures sont les preuves tangibles de la liberté de la  femme des années 70, 80, 90.




Louise Bourgeois, plus vieille que Niki (1911/2010) aux Etats-Unis, construit des araignées gigantesques qui commencent à plaire. Il y en a une à Bilbao devant le musée. Je pense aussi au travail d’Annette Messager (1943), je reste en France, elle est plus jeune que Niki, sera-t-elle adulée à son tour par tous  dans une trentaine d’années ?  


Alors qu’aujourd’hui Annette fait froid dans le dos à beaucoup d’entre nous, son côté femme sorcière déplait. Ses phrases anti mec brodées  sur napperon sont des vengeances incisives.

Pourquoi je m’intéresse à ces femmes  artistes ?

J’essaye seulement de comprendre pourquoi les Nanas de Niki se hissent au pinacle et pas encore les autres : Annette, Louise… Bon, Cindy Sherman (8) a eu une belle expo au Jeu de Paume mais, ça n’a rien à voir avec les processions d’attente pour Niki de Saint Phalle… Quel beau nom, qui contient pourtant, niquer et phallus ! Bon Nike signifie aussi Victoire, doucement   sur les interprétations…

Les nanas sont généreuses, joyeuses, heureuses de vivre… 

Généreuses, oui mais, elle cachent bien une noirceur : Niki alterne exaltations et dépressions. Elle s’est faite soigner quelques temps en hôpital psychiatrique. Niki confie à ces sculptures un secret très noir : le viol d’un père à une enfant muette. 
Est-ce tout cela qui lui donne une énergie impressionnante? Niki est une fontaine de jouvence : "Je suis parvenue à apprivoiser mes monstres et à jouer avec eux."

Ok! Les belles Nanas colorées obèses sont aujourd’hui encensées par tous.

Avant ces belles grosses femmes gymnastes, Niki de Saint Phalle a fait des  choses assez différentes :
Armée d’une carabine, elle tire sur des cibles de plâtre dans lesquelles elle enferme des ballons de couleurs qui éclatent lorsqu’elle touche la cible au bon endroit (3).
Puis, elle assemble des tas de petits jouets les uns sur les autres pour en faire par exemple un cheval immense et hop, elle y fait monter à cru une mariée triste. Cet assemblage donne l’impression d’être une blanche zombie chevauchant un cheval décharné. 
Son énorme Hon (4) dodue, allongée, au sexe noir ouvert par lequel les visiteurs pénétraient a enthousiasmé les visiteurs. Néanmoins, la plupart des gens ignoraient cet événement artistique de Stockholm en 1966. Au Grand Palais, ce ne sont pas les grandes photographies de "la Hon" qui ont émerveillé les spectateurs. "La Hon" égale "La naissance du Monde" de Courbet mais, c’était une peinture privée.



Dans cette grande rétrospective au Grand Palais, il y a les différentes périodes de création de cette femme orchestre et tout ce qu’elle a fait passe comme une boîte à la poste… Surtout les nanas colorées (5). Hi, hi !

Tout le monde est là avec son Smartphone et ça filme et  photographie à l’envi.
Les bras levés pour être par-dessus les têtes des spectateurs. Les miens encore plus hauts, je filme les petits écrans lucioles (7) Des centaines de photos et de films sont faits toutes les minutes. 
C’était inimaginable pour moi avant cette soirée dans les différentes salles ! 

La mise en scène  est magique, elle plait inconditionnellement. Trois étages d’œuvres… on croit que c’est fini et hop encore un  étage, encore une œuvre un peu cachée dans l’ombre, une vidéo : l’artiste parle avec détermination, elle dit : " je parle des femmes… C’est naturel, je suis une femme." 
Tout le monde veut garder une trace d’elle, clic ! 
"j’y étais ».





Si vous êtes saturés. 
Ci-dessous, il y a les notes…
Bon, si je les ai ajoutées c’est qu’elles sont utiles.





Notes:   



2 - Le mot ananas vient de "naná naná", qui signifie « parfum des parfums ».  Ce n’est donc peut-être pas le roman d'Emile Zola qui est à l'origine du mot « nana".

  

1 - Dans les pubs, les menstruations des femmes sont tabous dans les années 60,70, c’est encore un sujet peu glamour. 
Dans une publicité Nana de 1988, on parle des règles sans  jamais aborder le sujet. On parle des serviettes hygi-éniques sans vraiment les voir. Une publicité pour ne pas choquer les téléspectateurs : par exemple le produit versé sur  la serviette est bleu, pas rouge, bleu. Le graphisme d’essai est sympa, pas de tache de Rorschach, pas une calligraphie de Hans Hartung, non, une belle ondulation marine régulière.



3 – La culture Jômon date de -13.000 ans au japon.
Les croyances du peuple Jômon étaient animistes comme presque tout le monde en cette période. Les figurines en terre et les autres magnifiques poteries étaient utilisées dans leurs rituels. 
Je parle de césarienne parce que cette figurine (30 cms) m’a frappé lorsque je l’ai découverte dans un magazine. C’était un mois après que l’on m’ait ouvert le ventre de haut en bas pour une appendicite gangrenée/septicémie… Regardez son ventre à elle, il semble avoir été tranché et refermé en serrant l’argile à la taille avec les deux mains.


4 -  « En 1961, j’ai tiré : sur papa, tous les hommes, les petits, les grands, les importants, les gros, mon frère, la société… Je tirais parce que j’étais fascinée de voir le tableau saigner et mourir. A vos marques ! Prêt ! Feu ! »
Le happening de ses tableaux-cibles au fusil qui dégoulinent fait un tabac. Ces tournées mondiales ont une allure de fête foraine. Elle dézingue les beaux tableaux qu’elle a peints, c’est une néo-dadaiste, elle est irrévérencieuse. Et les copains accourent, j’ai failli dire "lapins"… Yves Klein, Martial Raysse, Jean Tinguely, (qui partagera sa vie avec elle) Robert Rauschenberg, Jasper Johns puis plus tardivement Keith Haring. 
Niki la flingueuse touche au cœur une belle brochette d’hommes, elle les rassemble, les séduit par sa grâce rebelle.


4 – Hon signifie "elle" en suédois.



5 - Avec le temps, les matériaux employés pour fabriquer les Nanas changent. Niki abandonne le papier et les tissus collés. Elle sculpte ses œuvres dans des blocs de polystyrène. Elle  recouvre cette base de laine de verre et de résine polyester pour la rendre dure comme la pierre. Les Nanas sont ensuite peintes de couleurs vives ou décorées de morceaux de céramique colorée, des miroirs, des billes de verre… Malheureusement ses sculptures si joyeuses causeront paradoxalement des souffrances cruelles à l’artiste. Progressivement, les vapeurs et les poussières de la résine lui brûleront les poumons et provoqueront une insuffisance  respiratoire chronique. 


6 - La légalisation de la contraception date de 1967. C’est en 1975 que la loi dépénalise l'avortement dans certaines conditions. Nous devons cela à Simone Veil.
Devant les députés, Simone Veil lit cette longue phrase:
« Je le dis avec toute ma conviction : l'avortement doit rester l'exception, l'ultime recours pour des situations sans issue. Mais comment le tolérer sans qu'il perde ce caractère d'exception, sans que la société paraisse l'encourager ? Je  voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme - Je m'excuse de le faire devant cette Assemblée  presque exclusivement composée d'hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes. » 
Les débats furent houleux…


8 - Cindy Sherman est toujours grimée, costumée, elle se camoufle en des personnages inattendus. Elle disparait sous le maquillage :
"Je suis douée pour utiliser mon visage comme une toile."
Elle ne réalise que des autoportraits photographiques. Ceux qui connaissent son vrai  visage ne sont pas nombreux.  
Je pourrais parler aussi de Nan Goldin, Diane Arbus… Sophie Calle est française, quand sera-t-elle sous les feux d’une rétrospective aux interminables files d’attente ? A suivre de près.

7 - Le lien pour mon film documenteur:  
https://vimeo.com/118718407











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lundi, février 02, 2015

Dessin Caricature XIXe





















Le dessin en France au XIXe.  










Quand on s’intéresse aux arts plastiques du XIXe, on retient la peinture : David, Delacroix, "Le radeau de la Méduse", Ingres, Courbet et les Impressionnistes. Il y a de plus en plus de couleurs sur les toiles. 
Et qu’en est-t-il du dessin au XIXème siècle ? 
Les artistes dessinent en noir sur papier blanc, leurs dessins sont uniques, ils ne peuvent pas être imprimés à côté de textes typographiés les moyens techniques ne le permettent pas encore. (2) 


Survol du XIXe siècle.


En 18OO les ravages de la Révolution Française ont cessé, Napoléon veut l’Europe pour la France, il échoue en 1815. Puis, le XIXème siècle est rythmé par trois Révolutions, trois Républiques et trois Royautés. 
(Pour en savoir plus, lisez la note (1) à la fin de ce document). 

En ce début de siècle la reproductibilité d’une image est difficile. 
J’appelle "image", un reflet, une peinture, une gravure, un dessin plus ou moins figuratif. La photographie est une image, elle naît lentement au cours de ce siècle et elle devient chimiquement assez facile à développer vers 1850 (3)
L’image qu’elle soit religieuse, satirique, humo-ristique, politique, artistique, commerciale ou de propagande est rare parce qu’elle est impossible à imprimer dans un livre ou sur un journal qui doit être diffusé au minimum en quelques milliers d’exemplaires.
Il existe bien sûr la gravure sur métal, le tirage est lent, il est difficile de dépasser une centaine  d’exemplaires. Il y a aussi la gravure sur bois  (4) qui ne permet pas la précision à laquelle  sont habitués les artistes de ce siècle qui ont tant d’élégance avec un crayon !
En résumé, il est facile de diffuser du texte, mais  pas les images.




Le XIXe découvre un procédé technologique qui va permettre de multiplier  les dessins faits au crayon, c’est la lithographie.
Les artistes vont dessiner sur la pierre comme sur le papier, aussi bien aussi vite (11). Un dessin lithographique de Daumier peut être confondu avec un dessin au crayon sur papier, alors qu’il est sur un journal en de nombreux exemplaires.
La lithographie est un système basé sur le principe de la répulsion de l’eau et de l’encre grasse, il ne faut donc pas imaginer les artistes  en train d’inciser la pierre. (Pour en savoir beaucoup plus sur la technique, lisez la note 10 )





Toutefois, l’image lithographique ne peut pas être intégrée à la composition typographique, elle reste une illustration en regard du texte, ce qui est encore un handicap pour son utilisation par la presse écrite.

Mixons toutes les infos données depuis le début : les arts plastiques, les nouvelles technologies, le contexte socio-politique de ce siècle. 

Ce cocktail énonce qu’il est possible  d’essayer de dire, d’écrire et de dessiner ce que l’on pense… Oui mais, ça va être en dents de scie, ça va dépendre du pouvoir en place, le siècle est agité : Républiques, révolutions, rois, empereurs. La situation est favorable, l’air respiré de la rue donne envie d’affirmer une conscience politique philosophique, il est possible de dire ce que l’on pense sans prendre trop de risque avec un crayon ou une plume.  

Bien sûr, il y a belle lurette que l’on graffite les murs et que circulent des dessins d’humeurs excessifs ou non, mais jamais le dessin n’a pu prendre l’ampleur qu’il va prendre en France au XIXe (5) pour toutes  les raisons qui ont été exposées. 

Si tout le monde après 1830 a su dessiner une poire, c’est grâce ou à cause d’un dessinateur.

Charles Philipon est le dessinateur de ce canard  enragé « Le Charivari ».(6)
Il déteste la manière de régner  du roi Louis Philippe. Il constate que la révolution du peuple est passée entre les mains de la bourgeoisie. Son pouvoir d’artiste sont de le dessiner haut et fort. Il va s’en donner à cœur joie avec son crayon. Peut-on dire pour autant qu’il va bien se battre avec son crayon ?

Ce garçon au crayon intelligent ne veut tuer personne, il souhaite seulement ridiculiser ce roi (7) qu’il trouve incompétent. 
Plutôt que de traduire en dessin la politique de cet homme et de ses conseillers, il va seulement exagérer la tête de ce roi à la tête empâtée, aux grosses joues et à la perruque bouclée. 
En quatre dessins successifs, il métamorphose la   tête du roi qui devient une poire. 
Pas une pomme, pas une banane, une poire ça fait rigoler tout le monde sauf le roi et son entourage qui aimerait bien ne plus voir ces dessins dans la presse tous les jours.
La force du dessin de ce dessinateur est d’avoir transformé le symbole du pouvoir en une poire. Par ce tour de passe-passe en dessin, tout le monde peut griffonner la tête du roi en se contentant du simple contour d’une poire. Dans les rues, sur les étalages,  dans les vergers, tout le monde finit par voir le roi, il n’y peut plus rien. Et personne ne peut avoir des ennuis avec la censure ou la loi. On a bien le droit de dessiner une poire (8).
En 1831, face aux juges Philipon va être condamné, il décide de faire une plaisanterie en public. Il commence par dessiner son propre portrait et en quelques dessins il se métamorphose lui-même en poire : « Tout peut ressembler à une poire » explique-t-il.
Et c’est vrai, prenez qui vous voulez vous finirez par le transformer en étapes successives en ce que vous voulez, il vous faudra peut-être une dizaine d’étapes, voire plus, un bon logiciel peut vous le prouver.
Philipon est souvent mis en procès, vingt fois !




Honoré Daumier, incontestablement le plus fort! 


Daumier reprend le dessin de la poire et devient plus  virulent en dessinant Louis-Philippe en Gargantua avalant tout... Le Roi est représenté sur son siège percé. Il est en train de digérer et de déféquer l’argent remis par le peuple affamé. 
Pour ce dessin Daumier écope de six mois de prison. Il réussit à obtenir un sursis mais il n’arrête pas pour autant ses caricatures antigouvernementales.
Malheureusement, il finit par être véritablement incarcéré à Sainte-Pélagie après la caricature des « Blanchisseurs » représentant, le gouverneur de la Banque de France, un banquier-ministre et le maréchal de Saxe en train de laver le drapeau  tricolore pour en faire disparaître le rouge. 
La légende du dessin : "le bleu s’en va, mais ce diable de rouge tient comme du sang." 
Il continue ses caricatures politiques jusqu’en 1835, date de la loi d’une censure de la presse et c’est la fin de la parution de "La caricature". Ce qui n’arrête pas vraiment Daumier. A partir de là, il va se consacrer à la satire des mœurs bourgeoises jusqu’en 1848 (2)
Même la classe moyenne n’apprécie pas la façon dont elle est lithographiée par ce dessinateur. 
A cette époque, personne ne voit en lui un grand artiste, il n’est à leurs yeux qu’un caricaturiste. Il dénonce par le dessin les raisons de la misère matérielles et morales des opprimés, il est un des premiers à le faire.




C’est assez…  
Je veux dire c’est assez pour le lecteur débutant.
Cétacé pour la baleine.








(Les paragraphes ci-dessous sont assez spécialisés.)

Regardez tout de même les images...


Le combat permanent pour la liberté de la presse. 

(Je ne parle pas de dessin dans ce paragraphe: je pense que la presse écrite et dessinée ont été malmenées de la même manière face aux censures et aux abrogations.)

L'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 stipule que "tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement".
Presque un siècle après, la IIIème République en 1881 vote la loi sur la liberté de la presse dont l'article Ier affirme : "l'imprimerie et la librairie sont libres".
On peut se demander pourquoi il y a eu besoin d’un autre article en 1881 puisque tout est dit en 1789 ? La raison est simple, la loi n’a pas été respectée  tout au long du siècle, il y a eu des abrogations.
Par exemple, Louis–Philippe rétablit la liberté de la presse en 1830, car il arrive au pouvoir après Charles X qui lui, venait de museler la presse. Louis-Philippe l’a promis, il le fait mais, cela ne dure pas, il revient vite aux méthodes répressives d’avant (9) La note 9 décrit la destruction d’une imprimerie par la police. 

En août 1847 le gouvernement saisit plusieurs journaux, avec parmi eux : Le Charivari, La Réforme  et La Gazette de France.
Plus tard, la loi de 1861 abroge un article qui supprimait tout journal ayant eu dans un délai de  deux ans deux condamnations ou contraventions.
Napoléon III ne fait pas exception, il ne veut pas entendre parler d’une possible liberté de la presse. Il  lutte contre les écrits virulents et les dessins de presse qui s’opposent à lui.



Certains journaux tirent à 30 000 exemplaires, le Charivari ne tire qu’à 2500 exemplaires.
Le dessin ne développe pas les idées comme les mots mais, cette différence de tirage est en grande partie due à la difficulté d’imprimer l’image à cette époque.
C’est presque incroyable mais, malgré les lois et leurs abrogations les journaux sont de plus en plus diffusés et de plus en plus lus pour diverses raisons : les progrès de l'alphabétisation, les progrès techniques. 
Le prix de l'abonnement diminue. 
Ceci dit l’abonnement annuel pour "la Caricature" équivaut à un mois de salaire ouvrier. 
La publication de dessins et de romans-feuilletons populaires sont aussi des atours pour la vente. 
Les journaux sont utilisés comme tribunes par les différents partis politiques pour diffuser leurs idées. Ils jouent un rôle incontestable dans l'avènement de la démocratie.
La lutte pour la liberté de la presse est longue. Ce n’est qu’en 1881 sous la Troisième République que la loi est proclamée. 
Mais rien n’est acquis, la censure peut être remise en place à chaque moment quand le régime ou l’État sont en danger. On vient de voir que cette liberté de presse est en montagnes russes au XIXe siècle. 
La liberté d’informer est l’un des principaux  indicateurs du fonctionnement d’une démocratie.  


Après 1830, quelques grands noms de dessinateurs 




Le dessin d’une poire de Philipon et de Daumier est devenu une arme de dénigrement systématique contre Louis-Philippe !  
C’est peut-être à la suite de cela que le public devient avide d’images, les journaux amusants vont se multiplier. On édite des séries de vignettes drolatiques dans des périodiques et des albums à succès, notamment ceux de Cham, un des plus habiles. (Les deux dessins ci-dessous sont de lui.)
On se passionne pour les célébrités du temps, c’est l’âge d’or du portrait caricaturé. Dans les années 1850, le dessin de presse, dans sa version comique, touche enfin toutes les couches de la société. Néanmoins, quand il y a répression, le dessin politique rentre en sommeil. 






Après la chute de Napoléon III, les journaux à caricatures laissent place à un fourmillement de feuilles volantes. Le dessin est diffusé sur des supports plus faciles à produire, faciles à afficher, circulant de main en main. Ces dessins publiés   démontrent l’importance de l’image en cette fin de siècle. Des dessins qui matérialisent les peurs et les haines de la population. Le dessin devient alors violemment scatologique, trivial, scabreux et ordurier. Ce langage dessiné reflète toute la violence des clivages politiques et sociaux d’alors.
Après la répression de la Commune, les plumes et les pinceaux sont sévèrement encadrés, mais les  journaux satiriques, hebdomadaires surtout, se multiplient quand même, en composant avec la censure et en la dénonçant souvent. 

Il est pourtant facile de publier son journal avec la loi républicaine de 1881 qui libéralise la presse. 


La loi autorise presque toutes les outrances sauf à s’attaquer aux chefs d’Etats étrangers, à l’Armée et à  se montrer trop osé sur le terrain des mœurs. (j’aimerais en savoir plus sur cette question de moeurs et voir comment le sexe est arrivé dans les journaux.)
Il n’y a plus de contrôle administratif et plus l’obligation de demander son autorisation à quelqu’un dont on souhaite publier la charge. L’illustration envahit l’imprimé et finalement tous les camps politiques d’une certaine importance s’intéressent à la caricature. Le camp républicain compte de nombreux titres, petits ou grands, plus ou moins durables, avec notamment André Gill et Alfred Le Petit. De l’autre côté, les bonapartistes, les monarchistes, les antisémites et les cléricaux publient aussi divers titres illustrés et virulents.





C’est à partir des années 1880 que les journaux quotidiens « sérieux » commencent eux aussi à publier des dessins politiques et d’actualité souvent un par semaine, parfois chaque jour. 
Le dessin prend des galons, il se simplifie. Il se limite au noir et blanc, le plus souvent au trait, en général de petite taille, mais parfois il s’étale sur toute la page. On trouve des dessins au Figaro, à La Nation, à  l’Echo de France, à La Croix.



Malheureusement, vers la fin du siècle, le dessin original une fois reproduit avec des moyens photomécaniques perd en qualité. Certains journaux publient un seul artiste, par exemple Forain parce  qu’il plait beaucoup. La renommée du dessinateur joue déjà beaucoup comme aujourd’hui Plantu qui a quotidiennement un dessin dans "le Monde".  







A la fin du XIXe siècle un dessinateur a rarement l’assurance de voir ses dessins publiés, et les relations d’un artiste habitué d’un journal peuvent se tendre jusqu’à la rupture. 
La célébrité de quelques dessinateurs ne doit pas faire oublier la précarité des centaines d’autres. 





Grandville, Il est de Nancy! c’est le dessinateur qui remplace les têtes des hommes politique par des têtes d’animaux. J’ai inséré ci-contre un de ses dessins, ça se passe au confessionnal, "folie est la brebis qui au loup se confesse. "
Les attaques incessantes de la police après le rétablissement de la censure le déprime. Il est perquisitionné par les gendarmes qui fouille n’importe comment, ça le touche profondément. Cette exaction est si terrifiante que dans une caricature, il dessine des mouches agaçantes qui envahissent son domicile. La censure fini par avoir raison de lui, puisqu’il va se consacrer entièrement  aux illustrations de grands livres, Don Quichotte, etc, il y excelle. C’est difficile de lui jeter le crayon à la figure. 

Gavarni est dessinateur, lithographe, illustrateur, peintre, aquafortiste, écrivain, je reprends mon souffle. Ils sont tous peintres! Il réalise en huit ou neuf ans 1000  lithographies pour le Charivari et la Caricature. Il a fait 2700 lithographies et 2000 autres gravures… Ces chiffres permettent de se rendre compte de la productivité d’un artiste. Ils sont sans doute tous comme lui. Un jour, il en a ras le bol de dessiner et peindre des toiles destinées à l’amusement des bourgeois il va se consacrer aux sciences physiques.

Caran d'Ache, en 1898, est cofondateur et des-sinateur dans le journal "Psst...!"Un hebdomadaire satirique antidreyfusard, qu’il fonde avec le soutien actif d’Edgar Degas (qui du coup, descend de ma haute estime) et de Maurice Barrès (85 livraisons). Son ami Forain peintre, graveur adulé dessine dans un registre plus noir que celui de Caran d’Ache. Il est aussi dans cette sombre lutte anti-judaique. (Rodin, Renoir, Cézanne, Valéry, etc, étaient aussi antisémites.)
Un des dessins les plus célèbres de Caran d’Ache, "Un diner en famille", (ci-contre) est l’excellent raccourci qu'il fit, le 14 février 1898, dans les colonnes du Figaro d'une querelle familiale. Les deux légendes sont illisibles sur mon document; "Ne parlons pas de l’affaire Dreyfus! »… "Ils en ont parlé..." 



J’ai longtemps cru que ce dessin était dreyfusard. Dreyfus est un militaire français accusé d’espionnage, il est dégradé publiquement. Il est  réhabilité en 1906. Dreyfus était juif, c’était surtout cela l’affaire.




Annexe : Les notes.




1-  Le XIXe découpé en tranches.

1789 à 1799, période révolutionnaire.
1799 à 1815, période napoléonienne. 
1814 à 1830, restauration de la monarchie (Louis XVIII, Charles X.)
("Le Radeau de la Méduse", c’est un naufrage qui raconte l’incompétence du retour d’un  commandant  royaliste  incapable de naviguer.)
27, 28, 29 juillet 1830, ce sont les « Trois  Glorieuses. » 
("La Liberté guidant le peuple" présente de manière allégorique la révolution de juillet.)
1830 à1848, la monarchie de juillet.
1848 à 1852, deuxième république.
1852 à 1870  le Second Empire.
1871, la Commune.
1870 à 1914, la troisième république.


2- Le texte imprimé se vend bien depuis l’imprimerie et les techniques se sont bien améliorées en presque trois siècles. Il est cependant impossible d’imaginer un journal ou un livre en couleur au XIXe, la technologie ne le permet pas.

3- La photographie ne peut pas être diffusée de manière mécanique avant 1880. Elle est  progressivement traduite graphiquement avant cette date, mais il faut attendre le début du XXème pour qu’elle figure en bonne place dans les journaux et qu’elle bouscule l’importance du dessin. La photographie va incarner la modernité pour les médias épris de vitesse, le dessin va pratiquement disparaître.
4- La xylogravure. Il vous faut une petite planche de bois fruitier. Vous dessiner un personnage. Ensuite, à l’aide d’une gouge, vous enlevez le bois  à droite et à gauche des lignes dessinées, c’est long. Mettez de l’encre noire sur la planche taillée à l’aide d’un rouleau. Seules les lignes sur la surface de la planche se couvrent d’encre. Couvrez la planche gravée d’une feuille de papier, passez l’ensemble sous une presse. Recommencez autant de fois que vous voudrez, vous en aurez vite marre. 
5- Ceci dit en Angleterre, Italie, Flandres, ça fait un siècle que les crayons sont  bien aiguisés. La  revanche c’est qu’à la fin du XIX siècle c’est l’esprit des dessins de presse en France qui s’exportera, chacun son tour.
6- Des nouvelles revues contenant des dessins naissent ; « la Caricature »,« Le charivari », « La Silhouette »  
Le Charivari en 1830, ridiculise allègrement la Monarchie et la bourgeoisie, ce qui lui valu d’être souvent condamné. Les dessins doivent être soumis à la censure avant d’être imprimés. Ce journal ne dépassera pas les 2500 ventes alors qu’un quotidien à cet époque, « Le Siècle » par exemple peut tirer à 20000 exemplaires. Le terme charivari signifie dispute ou plaisanterie entre époux.

7- Les Guignols de l’info d’aujourd’hui tirent sur nos présidents successifs à boulets rouges. Ils en font  tout autant avec les oppositions. Est-ce salutaire ? Est-ce un défouloir, une libération bienfaitrice? Ou bien participent-ils à dégoûter tout le monde de cette  gente politique en exagérant leurs  défauts ?


8- Au collège en 1963, mon professeur de dessin, ça se disait ainsi, nous fait recopier la tête de Louis Philippe en forme de poire ; ce fut l’occasion pour moi de découvrir les dégradés des ombres et de la lumière. Son exercice n’était pas du tout subversif, aucun d’entre nous ne connaissait le XIXe, nous trouvions seulement ce magnifique dessin de Daumier très drôle. Dans le journal Pilote en 1970, quelques dessinateurs vont s’inspirer de Daumier pour réaliser leurs Grandes Gueules.

9- Les ordonnances de Charles X le 26 juillet 1830, visent, à museler la presse d'opposition, à briser net l’élan libéral et à ramener la presse et l'édition vingt ans en arrière. Le 27, les imprimeries ferment et les gens du livre font paraître une protestation contre le pouvoir en place dans deux journaux de l'opposition, Le Temps et Le National. Descente de police dans les imprimeries. La police brise les presses, dont certains éléments gisent à terre au premier plan sur la lithographie de Victor Adam et la police s'empare des exemplaires séditieux. La révolution de 1830 est pourtant bel et bien en marche, c’est la chute de Charles X et l'avènement de Louis-Philippe qui va faire guère mieux malgré ses promesses.





10- La lithographie est une technique d'impression et de reproduction des textes et des images mise au point par hasard en 1797, par Senefelder, un auteur  dramatique allemand qui cherchait le moyen d'imprimer ses pièces à moindres coûts, en fait, un peu comme Alexander Fleming qui ne cherchait pas le pénicilline. 
Le procédé repose sur deux éléments : l'emploi d'une encre ou d'un crayon gras (composés d'un mélange de savon, de cire et de noir de fumée) pour dessiner sur une pierre enduite préalablement d'une solution composée de gomme arabique et d'acide nitrique.
Ainsi, quand la surface a été lavée à l'eau, les parties non dessinées restent humides grâce aux qualités hydrophiles de la gomme, si bien qu'au moment de l'encrage, ces parties « rejettent » l'encre. A l'inverse, les parties grasses (les parties dessinées) retiennent l'encre. On peut ensuite procéder à l'impression. La lithographie est le premier mode d'impression de type planographique ; elle préfigure l'impression offset.
11- La lithographie est particulièrement prisée par les artistes romantiques, car elle permet une grande liberté d'exécution et d'expression. Géricault en profite. Delacroix illustre le Faust de Goethe (1828) Goethe fait l’éloge de l’illustration de son Faust : "je dois avouer que, dans ces scènes  Monsieur Delacroix a surpassé ma propre vision, combien a plus forte raison les lecteurs trouveront tout cela vivant et supérieur à ce qu’il se figuraient."

Cependant, c'est pour le paysage que la lithographie suscite le plus grand  engouement… En attendant la photographie.   















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