vendredi, mars 03, 2006

Ecriture/Calligraphie



Je fais un trait.



Je trace.
Je dessine.
j’écris.

1- Un stylo-bille peut tracer une ligne de trois kilomètres de long. Restez sur la feuille de petit format et tracez une ligne sans relever la pointe du stylo. Vous êtes comme une mouche prisonnière dans un bocal, vous allez dans tous les sens, vous espérez en sortir, pour finalement aimer créer ce parcours libre de trois kilomètres sur cette grande surface.
2- Différemment, si votre main se prend à aimer les hachures vous réaliserez peut-être un dessin de qualité qui dira ce que vous ressentez à ce moment-là.
3- Autrement, si le cœur vous en dit, vous allez nouer votre ligne de façon judicieuse pour en faire une écriture et la destiner à quelqu’un.
« L’écriture, c’est du dessin noué autrement. » Jean Cocteau.

Tu traces.
Hans Hartung peintre contemporain aime laisser la trace de son geste sur la toile, sur le papier. Il peint, il dessine, il griffe, il gratte. Il ajoute l’envie de vitesse. Il cherche en quelques coups de pinceaux à transmettre une énergie.
« Les soirs d’orage, je m’installais sur le rebord de la fenêtre afin de transcrire les zigzags des éclairs. »

Tu écris.
Qui a eu l’idée de transformer la simple errance d’une main ou d’un outil dans l’argile, sur le sable en un ensemble de signes communs à tous ?
« Laisse-moi te dire que c’est dur d’écrire : ça brouille la vue, courbe le dos, écrase le ventre et les côtes, tenaille les reins et laisse tout le corps douloureux. Comme le marin regagne enfin le port, le scribe se réjouit d’arriver à la dernière ligne. » XIIe siècle.

Pour passer de l’écrit au dessin, il est préférable de prendre une feuille sans ligne, une feuille blanche.

Tu dessines.
Qui a bien pu avoir le génie de transformer la simple errance d’une main ou d’un outil sur une paroi en une représentation réaliste des objets, des animaux et des hommes?
La légende : devant un feu, une jeune femme grecque fait le contour au charbon de bois de l’ombre de son amoureux qui part à la guerre.
« Écrire et dessiner sont identiques en leur fond. » Paul Klee.



L’enfant trace.



Le jeu graphique au stylo-feutre du jeune enfant, avant 24 mois, est surprenant. Le résultat est une pelote de lignes assez dense réalisée de manière débridée, sans frein, et sans autre motivation que celle de se faire plaisir : le réel plaisir visuel de l’enfant est de voir la ligne onduler sous ses yeux.
À cet âge-là, l’œil suit la main, c’est la main qui décide, l’œil est ravi. Par la suite ce sera le contraire : l’œil imposera son chemin à la main et ça sera très difficile.

L’enfant dessine.
À l’école, il va tant se concentrer et s’appliquer à faire des bonshommes, des fleurs, des soleils, des lignes de boucles et de ponts qu’il contractera les doigts sur son outil à s’en faire mal.

L’enfant écrit.
À l’école, il va apprendre à écrire, simultanément on va peut-être encourager une activité graphique, mais il ne va pas apprendre à dessiner, c’est comme cela.
Avec concentration, lentement et en appuyant, il va apprendre à tracer les lettres de l’écriture liée (cursive).
En Angleterre, les enfants apprennent à tracer l’écriture séparée, script, bas-de casse.
Est-il préférable de commencer par l’apprentissage de l’écriture des lettres liées ou par celui de l’écriture des lettres séparées ?
Curieusement en France, un petit enfant apprend à lier les lettres pour pouvoir écrire vite lorsqu’il sera grand.
Autrement dit, l’enfant français apprend à courir avec les lettres (écriture cursive du latin currere : courir) alors qu’il ne sait pas encore comment les faire tenir debout.
Bon c’est comme ça !

Le dessin des lettres est toujours dépendant de l’outil et du support.

Si le support change la lettre change naturellement.

1- Les Égyptiens ont deux écritures : une écriture pour la pierre avec un burin (hiéroglyphique) et une écriture sur le papyrus avec le roseau taillé (hiératique)




2- L’écriture phénicienne gravée sur la dure céramique ne peut pas être faite de courbes : elle a des points communs avec certains graffitis interdits gravés sur les dures vitres du métro : le « d », delta grec est un triangle isocèle sur le côté.
3- Dès le début de l’hégire (622) l’écriture arabe évolue vers deux types, le coufique (écriture anguleuse) et le naskhi (écriture arrondie), la différence est venue du matériel employé.

• Si le support de l’écrit change une habitude changera.
L’imprimerie, réservée aux professionnels pendant cinq siècles, n’a pas vraiment changé nos habitudes d’écritures, mais cela a changé nos habitudes de lectures en rendant le déchiffrement bien plus simple : il a seulement fallu apprendre deux sortes de lettres, le bas de casse et la cursive. Il faut remarquer qu’au début de l’imprimerie, les lignes d’écritures imprimées sont des copies conformes des pages manuscrites à la plume d’oie. Bien sûr, rapidement les lettres se simplifient, les hampes des lettres disparaissent puisqu’il n’y a plus l’outil qui effleure si vite le papier qu’il laisse une trace, une traînée, c’est l’origine de la boucle du « l » par exemple.

• Si le support de l’écrit change une habitude changera progressivement, avec un certain retard.
Généralement une nouvelle invention, un nouveau matériel s’installent avec les habitudes du précédent qu’il remplace:
1- Le cinéma à ses débuts ne montrait que des scènes vues de loin comme lorsque l’on est au théâtre. Le gros plan est une trouvaille spécifiquement cinématographique qui arrive par la suite.
2- Les colonnes de pierres des temples grecs ne sont que l’évolution progressive, plus durable et plus luxueuse des fûts d’arbres inflammables bien pratique à installer pour maintenir les poutres horizontales.
3- Les premiers wagons de chemin de fer ressemblent à des diligences mises bout à bout avec un marchepied, et une porte pour chaque compartiment.
4- Les premières machines à laver voulaient imiter le va et vient des lavandières avant de passer à un système de rotation.
5- Les immeubles n’ont longtemps été que des maisons individuelles empilées les unes sur les autres. Récemment, à Londres Norman Foster rompt complètement avec cette représentation en construisant une sorte d’obus, Jean Nouvel le suit à Barcelone.

6-Le clavier de l’ordinateur portable changera quelques habitudes bien tenaces que l’Education Nationale protégera longtemps.

Combien de temps notre écriture manuscrite résistera-t-elle aux assauts des nouvelles technologies, puisqu’il y a toujours eu une régulière évolution des concepts, des outils et des supports ?






Idées, syllabes, consonnes.



L’origine de l’écriture remonte à 3500 ans avant Jésus-Christ. Les signes assez compliqués (les idéogrammes) étaient tracés tranquillement un à un séparément dans l’argile. Au cours des siècles, les idéogrammes se sont simplifiés : la tête de taureau avec ses cornes est devenue le « A » capitale. (Retournez le « A » vous verrez les cornes, ajoutez-y des points pour les deux yeux.)

Chacun des nombreux idéogrammes (30 000) compliqués, signifiait une idée complexe. Ils se sont transformés en signes moins nombreux (3000) et assez simples qui désignaient des syllabes. Vers 700 avant Jésus-Christ, le nombre des signes a encore réduit (moins de 30) pour ne signifier que des consonnes.
Les voyelles sont arrivées après. L’Arabe et l’Hébreu sont des écritures consonantiques encore en usage, il n’y a pas de voyelles écrites, mais elles sont prononcées.
J’écris « fntr », avez-vous réussi à lire « fenêtre » ?

On peut imaginer qu’en réduisant et en simplifiant les signes les scribes ont accéléré leur vitesse d’écriture, ils sont devenus très adroits : du coup, les signes se sont presque naturellement ligaturés. Lorsque l’on écrit vite, le stylo effleure encore le papier et peut laisser une trace, c’est cela l’origine des boucles et des liens. Autrement dit lorsque l’on finit le « c » du mot « boucle », on ne lève pas l’outil, il continue sa course et laisse une trace en allant chercher le haut de la hampe du « l ». Regardez ce « l », il n’a pas de boucle et il est aussi lisible que le « l » cursif : ce n’est pas la boucle qui fait que l’on déchiffre le « l » mais bien la hampe (on dit aussi haste) qui cherche haut dans la ligne. Il en est ainsi de beaucoup d’autres lettres.


Le clavier de l’ordinateur portable changera quelques habitudes bien tenaces c’est sûr, mais nous n’en sommes pas là.


Depuis Charlemagne, nous écrivons la « Caroline » une forme de belle lettre romaine.
Regardons-là.


Ce bas de casse que j’utilise est une forme de caroline, regardez le « a » et le « g », comparez leur forme à celle d’un manuscrit médiéval, c’est assez proche.


Notre « Caroline » résistera encore longtemps aux assauts de la constante évolution des outils et des supports.
Les quelques lettrés mérovingiens ne nous ont laissé que des pattes de mouches. Aujourd’hui, personne ne peut déchiffrer le Mérovingien : on peut aisément simuler ce qui s’est passé au cours des décennies et en fonction des distances. Une mère apprend à écrire à sa fille qui elle-même apprend à écrire à sa fille. Tout le monde hérite des déformations de l’autre puisqu’il n’y a pas d’alphabet de référence. C’est précisément ce que fera Alcuin le moine irlandais aux ordres de Charlemagne qui lui-même ne sait pas écrire. Caroline rien d’autres ! Basta ! Et tous les textes criblés de fautes de copies sont réécrits en reprenant le plus ancien et cela sous la houlette de sévères cerbères.

Pour se rendre compte de la faculté d’adaptation d’un enfant à apprendre la caroline je vous propose de laisser là cette lecture et de tracer légèrement une grande croix : en haut à droite de la croix tracez un « l » avec boucles. Puis, écrivez ce signe en miroir dans la zone de gauche, puis faites-le dans les deux cases du bas toujours par symétrie ou en miroir ? Vous venez de faire quatre signes différents. Etait-ce si facile de trouver le point de départ et le point d’arrivée de chacun de ces « l » ?
Refaites une croix tracez un « b » bas de casse en haut à droite. Écrivez les trois autres signes par miroir : vous avez les quatre lettres qui déroutent les dyslexiques « b,d,p,q. »



La direction à prendre, le chemin à suivre pour tracer une lettre s’appelle « le ductus». Le ductus de chaque lettre s’apprend par cœur.
Marcel Pagnol met en scène un instituteur qui réprimande un enfant, le jeune Pagnol, qui trace d’un seul trait chacune des quatre lettres dont il est question .., l’enfant sans le savoir écrit en pure caroline.
Un enfant apprend à fabriquer deux ou trois « a », et il apprend à en lire cinq ou six en comptant les majuscules. L’enfant a beaucoup d’images à apprendre, on ne s’en rend plus assez compte.
C’est difficile pour lui d’apprendre par coeur tous ces dessins de lettres et les enseignants ne sont pas vraiment certains que leur méthode est la bonne. Ils sont partagés entre proposer le plaisir ou imposer la rigueur. Doit-on être détendu pour apprendre par la répétition ?
Il semblerait que le graphisme ne se prête guère à l’automatisation. Alors que le principe même de l’écriture est l’automatisation.
Il faut pratiquer les deux sports !




Zigzaguer ou écrire droit ?

Vers où aller lorsque l’on écrit ?
Chaque civilisation a cherché sa manière de déplacer les signes à tracer.
De gauche à droite. De droite à gauche. De haut en bas et de gauche à droite. Tantôt à droite, tantôt à gauche en rapport avec le regard du personnage hiéroglyphique.
De gauche à droite pour débuter, et la ligne du dessous de droite à gauche et ainsi de suite comme une charrue qui laboure.
En spirale à partir de l’intérieur.
Quelques systèmes n’ont pas résisté au temps, les autres sont toujours là, et il n’y a pas un système qui soit meilleur que l’autre.
Si vous essayez de comprendre les empreintes des allers et retours des oiseaux sur les alluvions au bord d’un étang vous préférerez qu’ils se soient déplacés bien en ordre, a fortiori si vous voulez identifier chacune des catégories d’oiseaux.

Trois empereurs chinois sont à l’origine de l’écriture. XXVIe siècle av J.C
Huang-Che aurait trouvé l’écriture après avoir étudié les corps célestes et les objets naturels en particulier les empreintes des oiseaux et des animaux;
Apparemment la pire des inventions si l’on en croit le poète XU WEIYE: “Huang-Che pleurait dans la nuit, il y avait de quoi.”



Effleurer ou frotter : le pinceau et la plume.


En Extrême-Orient, on écrit maintenant avec un stylo-bille, mais c’est le pinceau qui fut longtemps l’unique outil : le pinceau effleure, caresse, frôle, voltige, on ne peut pas parler d’un vrai contact avec le support : le calligraphe ne perçoit aucune vibration de son support, il ne le touche pas. Les poils sont d’une grande souplesse, ils ne doivent pas être meurtris, le manche n’est jamais en contact avec le papier.



Les peintres occidentaux connaissent cet outil. Vélasquez virevolte avec son pinceau comme un grand maître calligraphe chinois, mais il n’écrit pas, il peint. Un peintre peut comprendre ce qu’est l’écriture chinoise : un pinceau ne se met pas debout dans un verre d’eau de façon à ne pas le déformer

En Occident, l’outil scripteur a toujours été un outil en réel contact avec le support. Le calligraphe perçoit intensément les vibrations de son outil sur le support : il les calcule au toucher et à l’ouïe. Il gratte, il glisse, il racle, que ce soit avec la plume d’oie, le calame (morceau de roseau), la plume en métal ou avec le stylo-bille. Le contact est assez fort, il est question de plus ou moins de pression suivant le chemin à parcourir et la direction à prendre (le ductus).
Le calligraphe arabe, latin, hébreux, indien et autres, a un contact ferme avec le support. Son outil est taillé en biseau ou pointu, il est fendu en deux, les deux parties peuvent s’écarter en fonction de la pression. L’outil contient un peu d’encre par capillarité, peu d’encre. L’écrivain le tient incliné, il fait une ligne régulière (stylo) ou plus ou moins épaisse (plume,calame) que l’on appelle les pleins et les déliés.


- L’homme taille des outils de pierre depuis un million d’années, alors qu’il n’écrit que depuis 6000 ans, c’est impressionnant !
- Et ils parlent depuis combien de temps ?
- 500 000 ans ?
- Et pourquoi il n’a pas pensé bien avant à écrire ce qu’il disait?