mercredi, janvier 03, 2007

Art/mémoire.



















L’art et la mémoire.



Mise au point avant de s’embarquer avec Annette Messager, Christian Boltanski et Joseph Beuys.

L’art révèle les pensées importantes des hommes de tous les temps.
Il y a eu les fresques préhistoriques (-14 ooo), il y a eu Michel-Ange (15oo) puis Picasso et Marcel Duchamp (19oo).
Les peintres ont sans doute demandé aux Esprits de la caverne d’aider les chasseurs à tuer des belles bêtes.
L’Art ne sert pas à décorer une caverne, une chapelle Sixtine ou un salon bourgeois, mais ça peut le faire aussi… L’art est plus important que cela.
Il faut essayer de décrypter les œuvres qui restent quand les hommes ont disparu. Il faut trouver pourquoi ça été fait de telle ou telle façon.
À quoi ça servait? Pour quelle raison ?
« La raison religieuse est la plus facile à comprendre et à admettre parce que nous y sommes encore un peu baignés; comment c’est la vie au Paradis, en Enfer ? Michel-Ange a peint cela à sa façon pour le Pape. »



Il faut voir dans l’œuvre d’art le fruit de l’individu dans sa vérité la plus intime, c’est ce que l’on peut trouver dans les œuvres, mais ce n’est pas toujours facile à repérer.

Vous êtes au musée.

Il y a une œuvre que vous n’aimez pas, elle vous révulse. Remarquez qu’il y a bien quelqu’un qui est scotché devant. Cette situation se vérifie toujours. Ce qui n’est pas acceptable pour vous l’est pour un autre, interrogez-le ; vous ne le comprendrez pas.
Remarquez que je n’utilise pas le mot « beau».
Qu’est-ce qui est beau ?




« Le beau pour le crapaud, c’est sa crapaude. » Voltaire veut dire que cela dépend de qui vous êtes.
Alors, ça dépend si vous êtes, dans la préhistoire, en Australie, un enfant, une personne riche, cultivée, etc.
Pourquoi Marcel Duchamp a-t-il mis un urinoir dans un musée ?
Ça a été fait, ce n’est pas beau, ni laid d’ailleurs. L’urinoir est pratique quand il est dans les toilettes!
Un urinoir dans un musée, ça fait rire ou ça scandalise : les deux réactions plaisaient bien à Marcel Duchamp.
Il a fait cela pour choquer. C’est difficile de trouver un objet qui choque plus à cette époque.




Vous devez admettre que vous n’êtes pas le seul à décider de ce qui doit être au musée. Les autres ne sont pas forcément des imbéciles s’ils estiment ce que vous ne regardez pas et vice-versa.

Vous n’aimerez pas Beuys, Messager et Boltanski!
Vous ne mettriez pas une de leurs œuvres dans votre chambre ; ça tombe bien puisque ce n’est pas fait pour cela, pas plus que vous mettriez la peinture d’un renne pour appeler son âme si vous êtes chasseur. Pourtant, le crucifix était là pour appeler à la prière les distraits et faire culpabiliser les pêcheurs. Il est interdit dans les lieux publics depuis 19o5.

Comprendrez-vous Joseph Beuys ?
Il faut raconter l’histoire d’une action artistique de Beuys pour décoder son oeuvre. Et, peut-être l’aimerez-vous parce que vous l’aurez tolérée.
Je ne mise toujours pas sur votre adhésion !
Mettez tout de même de la bonne volonté à me suivre dans l’art contemporain et rappelez-vous en chemin, que les oeuvres préhistoriques étaient peintes ou façonnées, pour aider à guérir, pour se protéger, pour honorer, pour qu’il pleuve, pour que la chasse soit efficace. N’oubliez pas en cours de route, que le Jugement Dernier de Michel-Ange ou l’enfer de Jérôme Bosch devaient dissuader les ignorants de faire des grosses bêtises. Ils ont fait voir l’enfer de manière si horrible que cela a dû avoir de l’effet! Si vous oubliez cette idée, vous ne me suivrez pas.

Joseph Beuys.





En 1974, on demande à Joseph Beuys de venir aux U.S.A, c’était pendant la guerre du Vietnam. Il est contre cette guerre, il ne veut pas fouler la terre américaine pour montrer son désaccord, alors il se fait transporter en ambulance depuis l’aéroport et se fait déposer dans une salle d’exposition avec un coyote qui symbolise pour lui l’extermination des Indiens. Les Indiens, et maintenant les Vietnamiens; ce qu’il fait là est un acte politique de contestation, ça dure sept jours.
Il ne fait pas cette chose absurde de vivre une semaine avec un coyote pour rien. Ce qu’il a fait c’est une action politique ; est-ce pour autant de l’art ?

« L’art n’est pas fait pour décorer les appartements, il est une arme défensive et offensive contre l’ennemi. » Picasso.
Si vous pensez encore que l’art doit être beau dans votre salon, c’est que vous pratiquez la politique de l’autruche, ça fait du bien de temps en temps.

À New York, il ne reste que des traces photographiques de l’ « œuvre théâtrale politique et artistique » de Beuys.
On appelle ce genre d’œuvre d’art une « performance. »
Beaucoup de statuettes préhistoriques de fécondité étaient détruites lors des cérémonies pour invoquer les dieux ; n’était-ce pas là aussi une performance ?
Pour l’artiste préhistorique, c’est un geste magique.
Pour Michel-Ange c’est une prouesse religieuse.
Pour Monet, c’est un hymne à la nature.
Pour Beuys c’est un exploit politique. Il est le premier artiste à faire de sa vie une œuvre d’art, mais il n’est pas le seul. Pour Pollock, la peinture est une projection directe de son monde intérieur.
Il en est de même pour Christian Boltanski et pour Annette Messager.
Être artiste, faire de l’art a toujours été une activité très engageante pour soi ou pour les autres.

Beuys, qui était allemand, vivait dans la culpabilité des fautes commises par son pays lors de la Seconde Guerre Mondiale et si sa performance avec le coyote vous fait rire, moquez-vous aussi de « Guernica » de Picasso qui a été exposé dans le pavillon de la jeune république espagnole à Paris en 1937, face aux grandes puissances qui allaient bientôt l’écraser.
• Guernica est un cri.
• Une Crucifixion est une douleur.



• Une Nativité est une joie.
• Une bataille est une commémoration ou de la propagande.
• Les nymphéas sont des cantiques à la lumière, à l’eau.
• Beuys c’était plutôt le silence pesant qui dérange.
• Christian Boltanski, c’est le silence de la mémoire :


Christian Boltanski.





Au mur des petites photographies d’enfants, elles sont éclairées par-devant par des lampes, la salle est obscure. Une impression pesante se dégage de cette installation qui fait penser à un culte des morts. Mais les enfants sont en bonne santé, ils sont même venus voir leur photo ainsi mise en scène. Ça leur a fait drôle.

Avec un spectacle comme celui-ci, Boltanski essaye de faire basculer le quotidien dans le sacré. Il répète que l’art est nostalgique, qu’il en appelle au passé.
C’est difficile à admettre qu’il est artiste puisqu’il ne peint pas, ne sculpte pas ; il recherche, collecte, éclaire et met en scène.
Dites à un metteur en scène de cinéma ou de théâtre qu’il n’est pas un artiste.



Les mises en scènes de Boltanski révèlent sa conscience de la mort imprévisible et inéluctable.
Bon, c’est vrai qu’il y a le plus souvent des idées plus gaies véhiculées par les artistes:
Delacroix ; « Le premier devoir d’un tableau, c’est d’offrir une fête pour les yeux. »
Picasso, suivant son humeur, peint les femme belles ou démantibulées.
Matisse ; « J’ai toujours souhaité que mes œuvres aient la légèreté et la gaîté du printemps. »
Avec ces deux phrases, on a repris de la joie de vivre, mais il faut bien revenir à Boltanski.
Retenez votre respiration, voici un autre travail bien dérangeant:

« Au musée de Bâle, j’ai déposé au sol six cent kilos de vêtements ; le spectateur devait marcher dessus. Ces vêtements étant usagés, c’était comme de marcher sur des corps, et, pour les spectateurs, c’était difficile, parce qu’ils s’enfonçaient vraiment dedans et qu’il y avait l’odeur des corps qui étaient là. Ce qui m’intéressait c’était que chaque spectateur devenait lui-même coupable ou disons se posait le problème de savoir s’il acceptait de marcher sur le corps ou non, s’il était coupable ou innocent. »




« Handicap sans frontières », demande à ce que chacun apporte une chaussure pour en faire une montagne.
Cela nous rappelle des photos horribles de lunettes ou de montres entassées lorsque les Juifs entraient dans les camps de la mort.
Mais, on peut entasser des objets pour des causes moins sinistres que celles-ci.
Par exemple Arman, entasse en colonne des dizaines d’horloges devant la gare Saint Lazare à Paris. Aucune n’a la même heure, ça trouble le voyageur.



Annette Messager.




Un ex-voto est une statuette, une plaque, un objet ou un cierge que l’on met dans une chapelle pour remercier.
Annette Messager et Christian Boltanski réalisent des sculptures que l’on appelle "des installations" qui rappellent les ex-voto que l’on trouve beaucoup dans les villes du Sud de l’Italie; chez les bouchers, les boulangers. Derrière leur comptoir il y a une statuette éclairée par une guirlande multicolore clignotante, ça attire l’œil.

Annette Messager accroche sur un mur blanc un nounours qu’elle éclaire. La peluche a déjà servi, elle l’affuble d’une photo autour du cou, comme un collier. La photo représente deux narines vues du dessous ; on voit bien les deux trous noirs, on ne voit que cela, on ne regarde pas souvent les gens de cette manière. Sur le mur au niveau des pieds un texte calligraphié en forme de triangle donne l’impression d’être le piédestal. Il y a beaucoup d’autres peluches à côté de celle-ci.

Les installations d’Annette Messager sont de véritables poèmes visuels où tout ce qui est assemblé change de sens, grâce au montage particulier des images, des objets, des écritures, souvent le tout est pendu.



Ses œuvres sont fragiles, elles ont la fragilité de leurs matériaux ; le tissu, la broderie, le papier photographique, les textiles synthétiques des peluches, les filets de pêche, l’écriture au stylo-bille sur le mur de la salle d’exposition.
Pour ceux qui n’ont pas d’images sous les yeux, les titres de ses œuvres révèlent bien l’esprit de son travail caustique ; "Mes ouvrages","mes chimères", mes effigies", "mes petites effigies", "mes trophées", "mes voeux","mes mensonges", "mes interdits".



Elle est à la fois l’épouse qui brode pour son trousseau, la vieille demoiselle qui fleurit les autels de l’église, elle est chiromancienne, sorcière et jeteuse de sorts. Bien sûr qu’elle se moque de la condition de la femme. Elle cumule tous les rôles que l’on a donnés aux génitrices.
Rarement, une femme a eu le rôle d’artiste au cours des siècles, c’est une revanche puisqu’elle a représenté la France à Venise cette année, cela n’était jamais arrivé.



Elle est aussi une petite fille ; en 1998, elle installe des croix de bois grossièrement clouées, qui rappellent celles que plantait Brigitte Fossey dans le film de René Clément, "Jeux Interdits". Les enfants enterrent quelques fois avec cérémonial un petit oiseau, une souris, un insecte. Sur ces croix, Annette Messager installe des peluches déguenillées et dépouillées de leur contenu.
Dans cette expo, une petite fille de 2 ans, est allée embrasser un à un les nounours éventrés…Pour apaiser leur douleur ou afin de les ressusciter, mais là, c’est l’adulte qui parle.



Nous avons des croyances bien particulières quand on est enfant ; Annette Messager croyait que toutes les œuvres reproduites dans la revue "L’oeil" qu’achetait son père, ne concernaient que l’intérieur de l’œil. Chacun d’entre nous a eu des croyances équivoques.
Pour des petits riens indispensables comme celui-ci, Annette Messager est devenue truqueuse de photos, colporteuse de rêves, messagère de fausses prémonitions, dompteuse des araignées de papier.



Picasso explique à André Malraux que "les fétiches africains servaient à ceux qui les possédaient à ne plus être tributaire des esprits, donc à être indépendants. Si nous donnons une forme aux esprits, nous devenons libres… Les esprits, l’inconscient, l’émotion, c’est la même chose".
Personne n’avait jamais fabriqué d’amulettes, de gri-gri en Occident ; Boltanski et Messager l’ont fait.
C’est un jeu autorisé et c’est à travailler avec les enfants, il n’y a pas à avoir peur des fausses peurs.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je m'apprete justement à travailler avec deux classe de primaire sur le theme du gri gri
en faisant appel à ce qu'ils comprennent immediatement l'intime et le sacré...
J'enverrai nos resultats plus tard!
Merci pour ce bel éclairage et ces questions judicieuses
Brice

Nicole a dit…

Bonjour,
Vous trouverez sur le lien suivant un travail de mémoire réalisé avec des objets ramassés sur le camp de Rivesaltes pendant plus d'une année. Cette installation d'objets raconte toute l'histoire du camp de 1939 à nos jours.
http://www.nicoleberge.com/NicoleBerge.com/savoir1.html
Bonne visite