dimanche, mai 23, 2010

Rouseau/peintredudimanche



























Le Douanier Rousseau.

« Peintres du dimanche », le douanier Rousseau l'a été au début de sa carrière. Mais il fit peu à peu de chaque journée un dimanche, et de chaque tableau un émerveillement.

Surprendre dans l’ordre chronologique une cinquantaine de tableaux peints par le Douanier Rousseau est assez rare.

Le parcours permet de voir à quel point on passe d'une médiocrité à une grande qualité !

C’est déroutant de voir à quel point il passe des peintures de paysage assez banals à ses peintures de jungles mystérieuses.

Pendant plus de 30 ans, les peintures du Douanier Rousseau donnent l'impression d'avoir été réalisées par des peintres d'un club du troisième âge d'une maison de retraite animé par un prof vieillot.

Puis, de 1900, jusqu'à 1910, lors de la dernière décennie de la vie du Douanier Rousseau, ces peintures deviennent troublantes, magiques. Le sujet de ses peintures a complètement changé, il peint presque toujours de la végétation luxuriante dans laquelle il cache des personnages et des animaux peints de manière statique et du coup, tout devient énigmatique.


… Ses peintures de végétation tropicale et d'êtres fantastiques ont influencé les peintres Surréalistes.

La plupart du temps, ses toiles sont assez grandes, les verts y sont nombreux et riches, les couches de végétation passent les unes sur les autres, cela donne l'effet de décors de théâtre étagés les uns devant les autres.

Voir cette cinquantaine de tableaux du Douanier Rousseau placés dans l'ordre de fabrication ne permet pas de comprendre, mais permet seulement d’admettre que c'est le même homme qui a fait cette dizaine de grands tableaux de jungle réalisée seulement à l’âge de 50 ans.

L'influence d'Alfred Jarry, de Guillaume Apollinaire, de Picasso et de ses amis, a sans doute été déterminante pour le Douanier Rousseau. Il s'est laissé influencer par ces peintres et écrivains et c’est de cette réunion qu'a germé le génie de Rousseau « peintre des tropiques au jardin des plantes à Paris ».

Cette avalanche de tableaux du douanier Rousseau à la fondation Beyeler à Bâle est stupéfiante. Même un catalogue feuilleté ne vous donnera l’impression que celle que nous avons ressentie dans cette exposition ; c’était unique, exceptionnel, inattendu… Le Douanier Rousseau lui-même n’a pas embrassé toutes ses toiles. Il y a encore d’autres peintures de lui dans les musées du monde, et si on ajoute celles, assez nombreuses qui ont été détruites ou perdues, l’œuvre de ce naïf est plutôt colossale.

Relativisons ; il a tout de même peint quarante ans et certains de ses paysages ne sont pas des exemples de méticulosité comme celles de ses jungles ; ses jungles sont extrêmement précises, minutieuses, léchées, fignolées.

L'exactitude photographique ne fut pas le point fort du douanier Rousseau... Malgré son acharnement à passer pour un peintre réaliste, Rousseau ne l’est pas, mais un univers mystérieux surgit de ses toiles comme d'un rêve. Le douanier Rousseau est incapable de se plier aux lois de la perspective, le peintre laisse ses formes inextricables envahir l'espace tout entier.

En dessin, il est assez lamentable puisqu’il calque souvent les personnages d’après des modèles, en revanche en couleur, il est très fort : un ami du peintre comptera 22 nuances de vert sur sa palette ! En général, le dessin des personnages est d'une qualité bien inférieure à celui de la végétation. Le résultat est d'autant plus étrange.

La grande qualité de Rousseau est sans doute d’avoir persévéré en peinture avec ses pinceaux alors qu’il était piètre dessinateur avec un crayon.


En s’échinant aveuglément et méticuleusement comme Van Eyck cinq siècles avant lui, il a trouvé un chemin singulier, un chemin de traverse sur lequel il ne se serait pas fourvoyé s’il avait été formé par une l’Académie de l’époque. C’est parce qu’il était seul qu’il a erré ainsi, sans frontières, sans imprégnation, seulement sa maladive prétention et sa naïveté.

L'influence du douanier Rousseau a été déterminante dans l'histoire de la peinture du XXe siècle. Il a séduit et a influencé un bon nombre de peintres de cette époque. Delaunay, Picasso, Kandinsky, De Chirico, Miró, Léger, Tanguy, Magritte.

Le douanier Rousseau est né en 1844 à Laval.

Il commence à peindre en 1871, il a trente ans.

En 1895, Alfred Jarry publie une gravure de "la Guerre" de Rousseau.

En 1902, il est toujours très pauvre, sa seconde femme meurt.

L'église ordonne un service gratuit car le malheureux peintre, toujours en dette avec son marchand de couleurs, ne peut rien payer. Il a déjà perdu sa première femme, il y a bien longtemps il a bien du mal à s'en remettre et il a perdu aussi un fils âgé de 18 ans.

En 1904, le douanier Rousseau a 60 ans, il se lie d'amitié avec Apollinaire.

En 1806 Picasso achète un portrait de femme de Rousseau et il organise un banquet dans son atelier en l'hommage de Rousseau.

En mai 1907, il expose pour la première fois deux toiles au salon des refusés. Ces deux toiles sont aujourd'hui perdues, comme un très grand nombre de tableaux du peintre.

En 1910, il meurt à Paris d'une gangrène à la jambe, six personnes seulement suivent son corbillard.

Quelques anecdotes par-dessus le marché de l’art.



Courteline, un écrivain achète un tableau de douaniers dans une brocante c'est le portrait de Pierre Loti. Il l’achète « pour son musée des horreurs. »

Vlaminck écrit ; « le douanier Rousseau portait ses toiles chez Vollard de la même façon que le boulanger livre son pain ».

La femme de Guillaume Apollinaire qui est peintre s'appelle Marie Laurencin, elle met de la mauvaise volonté à poser pour le douanier Rousseau. Une fois le tableau achevé, elle a bien du mal à se reconnaître dans cette grosse femme plutôt laide ! Elle fit aussitôt la remarque à Rousseau, qui lui répond cette phrase définitive: «Guillaume est un grand poète, il a besoin d'une grosse muse »...

C'est surtout sa rencontre avec Guillaume Apollinaire qui va décider de la relative célébrité du peintre. Ce poète et critique d'art, dont l'autorité à Paris est sans commune mesure avec l'oeuvre qu'il a publiée, va en effet parler avec insistance du douanier Rousseau et le faire découvrir à une foule de gens qui jusque-là ne voyait en lui qu'un farceur. Ainsi le peintre reçoit-il les premières commandes.

Il n’a pas de commande. Quelquefois pour sauvegarder une fierté immense Rousseau invente de petits mensonges comme une commande pour le Louvre qui ne viendra jamais, une invitation à dîner chez le Président de la République…

Henri Rousseau est douanier des octrois de Paris, il est à la retraite en 1893.

C'est Guillaume Apollinaire qui va lui donner ce beau nom qui restera « le douanier Rousseau ». Lorsqu'il était en service comme douanier, il était déjà peintre.

À propos de cela il écrit en 1907 :

« Ils me donnèrent un service plus doux afin que je puisse travailler plus facilement. Je leur suis encore reconnaissant aujourd'hui. Ils ont aidé à donner à la France notre patrie l'un de ses enfants qui n'a eu qu'un but : de la rendre encore plus grande aux yeux de l'étranger. »

Le douanier Rousseau n'a pas voyagé plus loin que le Jardin des Plantes à Paris. C’est la luxuriante végétation tropicale qui lui inspire ses plus belles toiles : « Quand je vois ces plantes étranges des pays exotiques, il me semble que j'entre dans un rêve. »

Ses tableaux les plus célèbres sont dans les plus grands musées. À New York à Philadelphie. Il y en a deux au Kunstmuseum de Bâle, un à la fondation Beyeler. Il y en a beaucoup au musée de l'Orangerie à Paris.



Un soir de carnaval.

C'est le premier tableau exposé en 1886. Les deux personnages paraissent petits par rapport au paysage. Cela s'explique par la technique employée par l'artiste : il avait calqué sur une gravure ces deux figurines qui ensuite furent directement tracées devant les grands arbres. La naïveté du procédé contribue sans doute à l'atmosphère poétique de l'oeuvre. Les critiques de l'époque restèrent dans l'ensemble insensible à cette déroutante poésie. Un critique y voit « un nègre et une négresse égarés dans une forêt en zinc... » Rousseau colle cette coupure de presse dans un cahier d'écolier, il est très fier d'être cité par les journaux !

La guerre.


Alfred Jarry, qui a écrit Ubu roi, n'y est sans doute pas pour rien dans ce tableau. Il écrit dans un journal critique, « ce tableau exprime une courageuse tentative dans le vrai sens du symbole ». C'est vrai que ce tableau fait penser au Guernica de Picasso.

La bohémienne endormie.


Ce tableau est retrouvé par hasard chez un plombier en 1923.

L'espace en profondeur, la juxtaposition d'éléments disparates, l'étrange lumière qui baigne cette scène, transforme ses tentatives d'imitation en un collage magique.

Cocteau a écrit : « le rêve emporte si loin la bohémienne qu'un lion la flaire sans pouvoir l'atteindre. Peut-être ce lion, ce fleuve, sont-ils le rêve de la dormeuse. La bohémienne n'est pas venue là, elle est là. Elle n'est pas là. Elle n'est en aucun lieu humain. »

Le rêve.


Ce tableau peint quelques mois avant la mort du douanier Rousseau fut exposé en 1910. Il est accompagné d'un poème en guise de commentaire. Le poème fut sans doute écrit par Apollinaire qui insiste sur le climat onirique de la scène.

Auparavant, Rousseau avait écrit à Apollinaire : « je pense que tu vas déployer ton talent littéraire et que tu me vengeras de toutes les insultes et affronts reçus ».

La première surprise passée, un public de connaisseurs admire cette oeuvre.

Apollinaire, critique d'un journal de l'époque écrit : « ils admirent tout, y compris même ce canapé Louis-Philippe perdu dans la forêt vierge, et ils ont raison. »

Cet assemblage d'éléments sans lien logique entre eux annonce les délirantes inventions des Surréalistes.