lundi, mai 29, 2006

Art Nouveau / Ecole de Nancy.






L'Art Nouveau n'est plus nouveau.

Le vin nouveau arrive tous les ans après les vendanges, après il n’est plus nouveau, c'est du vin qui va vieillir tous les ans et devenir meilleur. (À boire avec modération.)
L'Art Nouveau s'appellera toujours comme cela alors que ça fait longtemps qu'il est terminé; ça fait un siècle que c'est fini, cent ans.
Est-il devenu meilleur ?
Vous, vous avez connu le début du XXIe siècle en l'an 2000. Ceux qui ont connu l'art nouveau vivaient au début du siècle précédent, en 1900. (À peu près lorsque la lourde tour Eiffel en fer était lancée vers le ciel).
Donc plus personne de vivant n'a connu l'art nouveau au moment où il se fabriquait.
Heureusement, il reste des traces de cette époque qu'on appelle aussi Modern Style (en anglais).
Le contraire de "moderne", c'est vieux, le contraire de "nouveau", c'est ancien, c'est pareil.
"Moderne" c'est comme "nouveau". Ce n'est plus ni nouveau ni moderne quand c'est vieux.
On dit aussi "La Belle Époque", c'est plus simple à comprendre, mais on vit peut-être nous aussi une belle époque... Alors on devrait peut-être dire style 1900 ?

Où peut-on trouver des traces de cette Belle Époque moderne 1900 d'Art Nouveau ?

On peut trouver des œuvres de cette époque dans certaines grandes villes à condition de bien connaître ce que l'on cherche et de lever le nez.

À Nancy, c'est assez facile de trouver de magnifiques décorations de cette époque juste en marchant, en regardant les maisons et en relevant la tête.
Il faut tout de même apprendre à chercher les détails et les formes de cette époque, sinon on ne sait pas quoi chercher.
L’Art Nouveau aime les courbes, alors c'est assez facile : il faut chercher des courbes.
Si vous trouvez une courbe sur une façade, sur un balcon, sur une fenêtre, ou sur une porte, c'est sans doute de l'Art Nouveau.



Si vous trouvez des décorations qui semblent fondre comme du chocolat c'est une maison Art Nouveau.., à Nancy, on dit "École de Nancy".
Les façades bizarres de maisons avec des courbes que l'on trouve à Nancy ont été dessinées et sculptées par des élèves de l'école de Nancy, qui font de l'Art Nouveau, qui a plus d’un siècle.
Les élèves de l'école de Nancy qui sont des adultes aiment beaucoup les lignes sinueuses des plantes qui montent le long des murs. Ils aiment aussi les fleurs. Les fleurs ne sont pas souvent carrées, triangulaires, et leurs tiges ne sont ni droites ni parallèles ni perpendiculaires.
C'est très simple, l’Ecole de Nancy déteste les formes géométriques.

Ils ne sont pas seuls à ne pas aimer les lignes droites.

(1-) Les pyramides sont triangulaires, les artistes de Nancy n'aimaient pas les volumes simples comme ceux-là.
(2-) Les temples grecs, (3-) les temples romains et (4-) les églises de la renaissance n'ont aucunes courbes non plus ; ce sont juste des triangles isocèles posés sur des lignes parallèles, les colonnes. Ça ne ressemble pas du tout à une plante (mimer ou dessiner).
(5-) Il y a une époque où l'on a sculpté des courbes dans les églises géométriques. Les triangles se sont transformés en arcs et ils ont été décorés par des spirales qu'on appelle volutes. On a appelé cette époque "Le Baroque",
La fumée de cigarettes fait de magnifiques dessins bouclés qu'on appelle "volutes ". Fumer provoque de graves maladies
(6-) puis...,Le Rococo", il y avait encore plus de détails tordus les uns dans les autres.

(7-) Les architectes des cathédrales gothiques aimaient bien les courbes simples, les arcs de cercle ; les arcs de cercle qui se coupent, les arcs de cercle parallèles.
Les cathédrales gothiques sont très anciennes : elles ont sept siècles, 700 ans et elles sont toujours debout, ce ne sont que des pierres empilées, et ça donne l'impression d'être des lianes, les artistes de l'Art Nouveau ont aimé les artistes gothiques.

Il faut retenir que les hommes qui ont construit les maisons ont tantôt aimé ou détesté les lignes courbes.
C'est étrange, il y a des époques où l'on aime habiter dans les courbes et d'autres époques ; non.

Les artistes de l'art nouveau ont écrit dans leur règlement :

"La nature fait de très belles lignes, ce sera notre unique source d'inspiration."


Ceux qui ont construit autrement à cette époque n'ont pas été des artistes de l'Art Nouveau. Leurs règles n'a pas duré longtemps : vingt ans seulement !
Ensuite, la ligne verticale et l'horizontale sont redevenues les reines jusqu'à aujourd'hui ; C'est-à-dire depuis quatre-vingt-dix ans à peu près.
Notre époque n'est pas drôle pour ceux qui aiment les lignes rigolotes comme les nouilles.
À l'époque, pour se moquer de la décoration Art Nouveau, on l'appelait le "style nouille". Il faut plutôt imaginer des spaghettis cuits sans sauce tomate, mais ce n'était tout de même pas aussi tordu… Ceux qui n’aiment pas exagèrent toujours.

Pour les ouvriers, ce n'était pas facile de tailler la pierre dure pour qu’elle devienne souple comme une plante qui grimpe.

Le bois se taille bien, mais ce n'était pas facile pour les menuisiers de faire des fenêtres en forme de fougères. Les carreaux pouvaient avoir les formes et les couleurs que l'on voulait, ils en profitaient quand la pâte de verre était chaude et molle un peu comme de la pâte à tarte.
À cette époque, ils avaient beaucoup de fer, la preuve, la tour Eiffel. Alors ces artistes en utilisèrent beaucoup en le tordant dans tous les sens comme les belles grandes angéliques qu'on trouve dans les prés au printemps. Les balcons donnent l'impression d'être en réglisse.


L'intérieur des maisons a aussi été beaucoup décoré.
L'intérieur des maisons Art Nouveau est à admirer.

Les artistes ont réfléchi et fabriqué tout ce qui doit y avoir dans un appartement pour y vivre. Quand on déménage en principe on emporte les meubles, sa vaisselle, ses objets de décorations...
... Mais, lorsque l'on arrive dans un appartement Art Nouveau tout y est prévu, mêmes les poignées de portes, le porte-parapluie, et les vases pour les fleurs.
C'est assez incroyable, tout se ressemble, tout est un peu mou et lourd, fondu comme des bougies, mais pas ramollo, les lignes sont énergiques, comme la courroie d'un fouet qui claque. On a appelé aussi ce style "le style coup de fouet".
En Allemagne, ceux qui se moquent l’ont appelé "le style ténia". (Du nom du grand vers que l'on pouvait avoir dans l'intestin.)
Il y en avait qui n'aimait vraiment pas les formes que font les lacets de chaussures !

Aujourd'hui, dans les villes d’Europe, il est difficile d'entrer à l'intérieur des maisons Art Nouveau, parce que des gens y vivent tranquillement ou bien tout est transformé depuis 1900.

1- Heureusement il y a des livres qui nous montrent les meubles et les objets qui ont été photographiés.
2- Il y a aussi des musées qui exposent, les meubles bien conservés, les objets et les vases. C'est le cas du musée de Nancy qui présente une collection de plusieurs centaines de vases en pâte de verre plus colorés et modelés les uns que les autres.
3- Il y a aussi à Nancy une maison musée, tout est resté en place, on croirait qu'on rentre chez quelqu'un qui n'a jamais rien acheté dans les supermarchés..., le moindre objet est tarabiscoté, bizarre, très travaillé, mou.
Les volumes des salles de cet appartement n’ont tout de même pas pris les formes des tulipes que les artistes aimaient bien. Elles sont restées cubiques ! C'est un peu dommage que les architectes n'aient pas fait des maisons en forme de citrouille, c'est une belle forme naturelle pour faire un salon à l’intérieur…
À Nancy, ils aimaient beaucoup la fleur de chardon, une plante qui pique, qui les protégeait peut-être des Allemands à cette époque. Les Nancéens ne les aimaient pas. Ils étaient l'ennemi qui s'était installé pas loin de chez eux. Beaucoup d’habitants de Nancy étaient des gens des départements limitrophes qui avaient fui « les Boches ».
Les deux camps venaient de finir une guerre et il y allait en avoir encore deux, mais ils ne le savaient pas encore.
S’injurier et se détester entraîne souvent une guerre.

Les artistes de l’Art Nouveau n'aiment pas le monde des grosses machines qui prenait beaucoup d'importance à cette époque. Ils préféraient les artisans qui travaillaient plus tranquillement, plus soigneusement et plus délicatement.
Il ne faut pas oublier qu'ils aimaient la nature, et pas beaucoup les villes polluées par de grosses usines à charbon fumaient beaucoup plus que celles de nos jours.
Les artistes de l'Art Nouveau auraient aimé que tout le monde puisse habiter dans les belles maisons qu'ils construisaient. Ils auraient aimé que tout le monde mange dans les assiettes qu'ils fabriquaient. Qu’il y ait au milieu de la table un beau bouquet de fleurs composées dans un magnifique vase en pâte de verre coloré.
Croyaient-ils vraiment que tout le monde pouvait se payer cela ?
Ça coûtait cher de sculpter tant de détails sur les meubles et sur les tables ! De plus, ils utilisaient souvent l’ivoire, la nacre, le cristal, le cuir, le bois des îles, l’or, l’argent, la porcelaine…

Finalement il n'y eut que les gens riches (la bourgeoisie) pour s'acheter un tel luxe.
Ce fut le bon goût des gens riches de l'époque.
La main d’œuvre coûtait cher, c’était très long de fabriquer des choses compliquées comme :
- Les chaises escargots (de Carlo Bugatti),
- Un lit papillon incrusté de bois exotiques et de nacre ( de Majorelle).
- Les vases champignons (de Gallé),
- Les vases crocus, les balcons fougère (de Gaudi),
- Les entrées de métro en lianes (de Guimard),
- Une coupole corolle vitrée (de Horta).

Donc, que des travaux d’artisans et pas d’usine ; pas toujours !
Les vases et les lampes de chevet d’Émile Gallé plaisaient tant, il en vendait tellement qu’il les a fait faire à la chaîne à l’usine pour que tout le monde puisse en acheter, mais c’est une exception. Fabriqués à la chaîne ces objets devinrent moins beaux ; quand on fait trop vite les choses compliquées, elles peuvent être moins réussies.


Il en a tant vendu, qu’une décennie plus tard, ça a dégoûté tout le monde, plus personne n'en voulait, ils les mettaient au grenier. C'était devenu signe de mauvais goût pour tout le monde.

Et maintenant, il y a des gens qui les aiment bien "à Nouveau" les lampes.
Ce sont de très belles lampes quand il s'agit des véritables lampes de cette époque. Le problème c'est qu’il n’y en a plus beaucoup, du coup, les magasins en vendent des toutes neuves, elles sont encore moins authentiques, et ça dégoûtera bientôt encore tout le monde.
C'est le cercle infernal des lampes Art Nouveau et du serpent qui se mord la queue.




Allez boire un verre à L’Excelsior !

vendredi, mai 19, 2006

Le Fauvisme / Matisse.













La couleur du tube




Les fauves Le Fauvisme





Depuis la Renaissance, les peintres rendent les volumes par le modelé : modeler signifie dégrader les tons des couleurs en fonction de l’éclairage, on ne doit faire que cela, il n’y a pas d’autres règles pour imiter la réalité extérieure, la couleur passe progressivement du clair au foncé; regardez la Joconde avec ses tons sombres de peinture italienne de l’époque là.
Ombres et lumières, il n’y a que cela à peindre !
L’idée qu’il faille ne faire que cela semble agacer Matisse.


C’est Gauguin le premier qui pose peu de nuances et se contente de quelques tons pour ses personnages, il utilise des oranges vifs peu nuancés.
Matisse est plus jeune que Gauguin, il a vu les toiles de son aîné, cela lui plaît beaucoup, il va aller plus loin en ne mélangeant plus du tout ses peintures sur la palette. Il les mélange à peine sur la toile.
« En peinture, les couleurs n’ont leur pouvoir et leur éloquence qu’employées à l’état pur. »


À partir de la Renaissance, on mélangeait, on cassait les couleurs, on les chamarrait, on les panachait, on les bigarrait, on en faisait des camaïeux, des tons rompus. Matisse les prend directement du tube. Cela ne nous impressionne plus beaucoup aujourd’hui parce que nous faisons souvent cela puis, tant d’autres l’ont fait après lui au XXème siècle…
…Et comme tant d’autres l’ont fait avant lui : les miniaturistes, les créateurs des vitraux et les artistes arabo-islamiques.
Hé oui, les peintres du Moyen-âge n’utilisaient pas les mélanges, leurs couleurs sont déposées en aplat, ils ne pouvaient guère faire autrement car leur préparation au blanc d’œuf séchait trop vite. De plus, ils ne possédaient pas autant de couleurs que maintenant.
Toutefois, Matisse n’abandonne pas franchement les nuances de couleurs qui permettent à l’œil de voir le volume, et il est si fort en dessin que, seulement par le dessin, il donne l’impression du volume ! Du coup, même quand il couvre les différentes formes de couleurs presque unies, on voit encore les volumes. Pourtant quelquefois, on a bien du mal à distinguer une chaise de la table et du mur qui est derrière, tout semble collé sur la toile plate. C’est dans l’art arabo-islamique qu’il a repéré la platitude; sa peinture est souvent une juxtaposition de tâches colorées qui ressemble à un tapis persan, mais le dessin est si juste que notre œil occidental distingue tout de même bien la scène représentée.
Dans « Intérieur aux aubergines, 1911 » toutes les surfaces colorées sont accolées, on croirait des morceaux de papiers peints côte à côte. Les peintres de la Renaissance comme Masaccio lui aurait donné zéro en couleur et douze sur vingt en dessin !
Mais bon, Matisse s’en fichait, il avait un autre but. Leonardo, à son époque, imposait que le peintre soit l’égal d’un bon miroir. Le bon miroir en 1900, c’est la photographie, Matisse le sait et il n’a pas envie qu’on le prenne pour une boîte magique qui ne fait que des blancs, des gris et des noirs.
Les peintres impressionnistes face à la photographie, 25 ans plus tôt, avaient déjà montré à quel point il ne fallait pas les prendre pour des imbéciles ; ils ont réagi, ils ont forcé sur la couleur pour faire la nique à la science exacte des couleurs de Newton.

Henri MATISSE. 1869 - 1954 .


En 1905, on disait de Matisse qu’il voulait choquer à tout prix avec la couleur comme ce fut le cas par la suite avec le Cubisme, Kandinsky et Marcel Duchamp avec sa roue de vélo, son urinoir, sa pelle à neige.
On comprend que l’on puisse choquer avec ce genre d’objets, mais peut-on choquer avec la couleur?
En 1905 la « femme au chapeau » fait scandale, les couleurs sont brutes de décoffrage. Henri Matisse a en effet, utilisé du rouge, du vert et du jaune dans le seul visage de la femme au chapeau.
Madame Matisse n'ose pas entrer visiter l'exposition.

"Matisse rend fou... Matisse est pire que l'absinthe". Graffiti sur un mur.
« Ce sont des fauves ! » dira un critique.
Ces toiles éclatantes sont peintes " à tubes (directement) contre toile " bafouillera Vlaminck.

"On a jeté un pot de couleur à la face du public " s'écrie le journal "le Matin".
Quelques années plus tard Picasso qui n’est pas un des moins dérangeants dit de la peinture de son ami Braque; « Tu veux nous faire boire du pétrole avec ta peinture (cubiste). »
Ce n’est jamais facile d’accepter les changements !
En 1905, Matisse, ce forcené de la couleur devient un chef de bande, la bande des fauves.... Et pourtant c’est un homme discret, un bourgeois.
Il est loin de vouloir choquer ! Matisse ne songe qu'à reconstituer le paradis de l’homme et de la femme, plutôt celui de la femme.
Matisse n’est pas muet, il s'écrie " la tendance dominante de la couleur doit être de servir le mieux possible l'expression ... le choix de mes couleurs est basé sur le sentiment, sur l'expérience de ma sensibilité."
Matisse pour montrer sa bonne foi publiera régulièrement ses notes de peintre. « Ce dont je rêve, c’est d’un art d’équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant (…) quelque chose d’analogue à un bon fauteuil. » Cette note montre à quel point c’est un casanier bourgeois bien loin des artistes cubistes, puis dadaïstes qui allaient bientôt apparaître. Il ne veut pas choquer, il n’est pas quelqu’un qui veut se faire voir à tout prix.
On est loin d’un chef de file « Fauve » : fauve veut dire féroce, le contraire, c’est filer doux.
Il a été radical avec les couleurs, il le sera aussi avec le dessin en le simplifiant de manière quasi décorative, c’est-à-dire en ne tirant que l’arabesque essentielle d’un corps. C’est lors de ses séjours en Afrique du Nord qu’il a eu la révélation de la couleur et de la simplification par l’arabesque.



Académisme et conservatisme.


Les musées français n’ont pas acheté dès le début ses oeuvres, ou plutôt si ! Le Centre Pompidou (Beaubourg) a acheté ses œuvres de jeunesse, ses copies de débutants durant sa formation, donc avant 1905.
Mais, le musée n’a pas de tableau de l’époque Fauve (1905/1910) et ne possède que des peintures d’avant et d’après cette époque. Il faut aller à Saint Pétersbourg, à San Francisco, à Copenhague, à Baltimore, etc.
En 1905, l'écrivain américaine Gertrude Stein et son frère Léo ne s'y trompent pas, ils acquièrent " La femme au chapeau" pour 500 francs et se lient d’amitié avec Henri Matisse.
En quelques années, cette bande de fauves laissera des traces profondes que l'on retrouvera chez les expressionnistes allemands, chez les Russes comme Kandinsky, puis chez Sam Francis, Rothko, c’est-à-dire chez tous ceux qui ont cru ou qui croient à l'impact de la couleur.



Il est admis par tout le monde que l’on commence par dessiner le contour des formes et qu’ensuite on les colorie et cela depuis toujours. Malgré cela, il y a eu des peintres qui ont essayé d’avantager les couleurs ; Titien, Véronèse, Goya, Delacroix.
La couleur était en tube à partir de la fin du XIXème siècle, elle était facile d’emploi, c’est ce qui incita les peintres à sortir et à peindre vite. Mais c’est la photographie cette « science exacte du dessin noir et blanc » qui donnera bientôt le coup de grâce au dessin qui écrase la couleur depuis si longtemps.
La photographie avait maintenant le monopole du dessin et de la lumière, il restait aux peintres à explorer les pouvoirs particuliers de la lumière et de la couleur, c’est ce que firent les Impressionnistes, les Pointillistes, les Fauves, les Expressionnistes.
Cette sorte de conflit permanent fut une bonne chose pour la couleur, puisque Matisse qui n’avait rien d’un révolté explora cette piste à la suite de Van Gogh, Cézanne et Gauguin.
"Au lieu de dessiner le contour et d'y installer la couleur - l'un modifiant l'autre - je dessine directement dans et avec la couleur. Cette simplification" concluait Matisse, "garantit la réunion du dessin et de la couleur qui ne font plus qu'un".
Plus simplement dit : La couleur peut tout.

À la même époque, la « Grammaire des arts du dessin », le manuel qui fera autorité à la fin du XIXème, Charles Blanc, un grand inspecteur ! fait cette déclaration ; « Le dessin est le sexe masculin de l’art ; la couleur en est le sexe féminin (…) Il faut que le dessin conserve sa prépondérance sur la couleur. S’il en est autrement, la peinture court à sa ruine ; elle sera perdue par la couleur comme l’humanité fut perdue par Éve »
« Obligez les élèves à avoir plus souvent à la main le crayon que le pinceau. »


Que nous dit-on aujourd’hui dans les textes officiels ?
Il n’y a quelques années, on disait de ne plus faire dessiner les enfants, mais de les faire peindre. On argumentait qu’il était hors de question que l’on revienne à la pratique du dessin roi que l’on avait mis si longtemps à évacuer.... Évacuer ? Pas certain, Vérifiez-le vous-même : si vous dites « je dessine les contours puis je colorie » c’est que vous êtes avant Matisse.

« la couleur peut tout, il faut réunir le dessin et la couleur pour ne faire qu'un"» a-t-il dit.
Rangez-vous peut-être encore mieux aux côtés de ceux qui ont suivi les Fauvistes ; Kandinsky, Cobra, Francis Bacon, Sam Francis, Rothko.
Plus tard....


Attention : beaucoup de citations entre guillemets sont remaniées, allégées, mais le sens est resté exact, je l’espère !
Faites-moi part de vos remarques sur ce texte, cela m’aide, merci.

vendredi, mai 12, 2006

Andy Warhol / Une Machine

Les images des machines





Andy Warhol est un peintre qui n’aime pas peindre.





Il aurait préféré que ce soit une machine qui fasse la peinture à sa place.
Son rêve aurait été d'être une machine à peindre.
Il y est presque arrivé...
Il a réussi à peindre automatiquement comme un robot, c'est-à-dire sans faire comme les peintres qui réfléchissent pour savoir s'ils vont mettre une touche de rouge vif ici, un peu de vert émeraude par là…


Ce que n’aurait pas aimé peindre Andy Warhol :


1- Andy Warhol n’a pas essayé de déformer les visages et de les rendre bizarres comme Picasso. Au contraire, il aimait les vrais visages comme ceux des miroirs…Mais avec seulement quelques couleurs plates.

2- Andy Warhol n'était pas un peintre abstrait des lignes, des formes et des couleurs comme Kandinsky et Pollock. Lui, il aimait bien quand c’est simple et automatique.

3- Andy Warhol ne savait pas peindre comme Léonard de Vinci et ça ne le gênait pas... Enfin, un peu quand même, comme tout le monde.
Quand on regarde la Joconde, on croirait que c'est une photographie.

Mais c’est vraiment de la peinture faite avec un pinceau, de la couleur, un œil et un cerveau au bout du circuit!
Plus personne ne sait peindre comme Léonard de Vinci ; il était trop fort et il n'avait pas d'appareil photographique..., seulement un miroir comme modèle qui malheureusement ne conservait pas les images.
Cinq siècles et demi plus tard, Andy Warhol a préféré photographier la Joconde plutôt que de la peindre mal. Et, comme une machine, il l’a reproduite une dizaine de fois de toutes les couleurs, en la mettant dans tous les sens sur une grande feuille sans doute pour nous obliger à se poser la question : « La Joconde est-elle un super chef d'œuvre ? …Est-ce qu'une simple photographie de star de cinéma d’aujourd’hui ne pourrait pas être aussi un chef d’œuvre ? »
Il a essayé de peindre les stars, ça a marché, les gens ont aimé voir les stars ainsi multipliées.

Il a aimé les machines parce qu'elles répètent toujours le même geste et qu'elles font toujours la même chose.
Ça devait le faire rire de le proclamer parce que c'était un provocateur ; il aimait bien déranger les gens et les faire changer d'idées.
Il a bien réussi puisqu'il leur a vendu ses tableaux qui n'étaient pas peints par lui et qui n'étaient même pas peints avec un pinceau !
Faut le faire !
Mais il ne faut pas croire qu'il voulait sérieusement devenir une machine, il savait qu'il ne pouvait pas vraiment en devenir une, c’était trop tard pour le vouloir.
Il pouvait reproduire une star des dizaines de fois, ainsi, il la vendait des dizaines de fois ; c'est malin de sa part !
Andy Warhol est un grand homme d'affaires, il savait gagner de l'argent.
Il y a des peintres qui sont morts pauvres, Van Gogh, Gauguin, ce n’est pas le cas de Warhol, il allait au restaurant quand il le voulait.
Comment faisait-il pour fabriquer ses images à toute vitesse, en beaucoup d'exemplaires et sans pinceaux?


Il travaillait en sérigraphie.
La sérigraphie est un moyen qui permet d'aller vite, de répéter les images.
La sérigraphie permet d'être précis, mais cela n'Andy (n’en dit) pas plus à celui qui ignore ce qu'est la sérigraphie. C'est trop compliqué à expliquer sans voir un film qui montre la technique...
... Voici le film.
Au milieu d'un morceau de papier, on découpe aux ciseaux : une fleur, par exemple. On enlève le bout de carton qui ressemble à une fleur et on le fiche à la poubelle.
On garde le grand bout troué par la fleur, on appelle ce carton troué : un pochoir.
On pose le carton troué sur une feuille blanche et on badigeonne le trou de la fleur à la peinture à l’aide d’une petite éponge. Il est impossible de dépasser puisque le carton protège les bords !
Puis on déplace le carton; on peut donc avoir autant de fleurs que l'on veut, avec les couleurs que l'on veut.
Mais Andy Warhol ne mettait souvent que quatre fleurs.

Quel gain de temps avec le pochoir !
Mais le principe de la sérigraphie, ce n’est pas exactement cela ; il faut plaquer un tissu fin sur la feuille que l’on veut imprimer. Le tissu laisse passer la peinture entre ses fils tramés. Il ne laisse pas passer la peinture si on le badigeonne d’une colle. Il suffit donc de dessiner une fleur sur le tissu et de recouvrir à la colle le pourtour de la fleur.
Andy Warhol a fait ces fleurs et ces bananes de cette manière, mais il a préféré reproduire les personnages célèbres comme Mona Lisa, Mao et les femmes de son époque, Liz Taylor, Marilyn Monroe.
La sérigraphie ressemble à la technique du pochoir, mais, s’il veut de la précision Andy Warhol utilise la lumière photographique pour découper les formes compliquées des visages.

Andy Warhol est un copieur comme un photocopieur. Il répète des dizaines de fois les mêmes images comme si c'était une punition à faire pour le lendemain.


Il met des visages côte à côte pour faire un grand tableau : tous les mêmes, qui nous regardent. Tous de la même couleur ou noir ou quelquefois avec d'autres couleurs primaires.


Souvent, au tirage, il y a des bavures de peinture sur ses tableaux.
Il y a aussi des décalages, les portraits ne sont pas exactement où ils devraient être, ils ont dû glisser.
Il dépose aussi trop vite une couleur sur l'autre alors ça fait des taches sur celle du dessous (maculage). Il peut le fait exprès.
Toutes ces erreurs qu’il aime bien, font penser à ce que fait une machine qui ne réfléchit pas, qui n'a pas d'émotion, et qui ne peut pas dire ; « ceci est beau, cela n'est pas beau ». Andy Warhol pense comme elle, il ne pense rien.
Quand il juge sa peinture, il n'a pas envie de penser quoique ce soit d’agréable ou de désagréable, mais ça devait bien lui arriver !

Alors est-il vraiment un peintre ?


« Non ! » disait-il, « puisque que je ne peins pas moi-même mes tableaux. »
Alors pourquoi parle-t-on encore aujourd’hui, de ce charlatan?
Un charlatan est un menteur qui peut vendre un produit inutile à tout monde grâce à son baratin.
On parle de lui parce qu'il est arrivé à la bonne époque, en 1960.
Aujourd'hui il ne vendrait plus ce genre de peintures puisque tout le monde peut en faire.
Il y a cinquante ans, avant 1960 il était vraiment amoureux des images en papier de la publicité.
Les images de publicité commençaient à se montrer partout sur les murs aux USA.
Auparavant il y en avait peu. Dans les magasins, juste après la seconde guerre mondiale, on vendait le savon dans des boîtes grises sans couleur, sans texte et sans titre. Il y avait 24 savons par boîte.

Cela paraît assez triste aujourd'hui d'imaginer qu'il n'y avait pas toutes les couleurs sur les paquets. Aujourd’hui, c’est le contraire, cela fait presque mal aux yeux quand on regarde un rayon de produits au supermarché.
Aujourd'hui on vend de tout. Tout ce qui est vendu est bien emballé. Tout est emballé plusieurs fois avec des beaux papiers aux belles couleurs, avec des réductions, avec des petits cadeaux. C'est fait pour ensorceler les enfants et les parents..., pour qu'ils achètent toujours plus, même s'ils n'en ont pas vraiment besoin.
C'est difficile d’y échapper: on devrait pourtant faire attention à ce que l'on achète et où on l'achète.
En 1950, il y a plus de cinquante ans, la publicité arrivait au galop.
C'était impressionnant pour Andy Warhol de découvrir, qu’on pouvait mettre la soupe en boîte.
Depuis toujours, la soupe se fait dans une marmite !
S'il y avait bien quelque chose qu’on ne pouvait pas mettre en boîte en 1960, c'était bien la soupe !
La soupe en boîte Campbell, ça a dû en boucher un coin à Andy Warhol qui s'est mis à en sérigraphier des pages entières de boîtes côte à côte comme au supermarché.
Nous avons des difficultés à imaginer son époque, mais ce n'est pas facile à admettre…
Une bonne soupe de légumes épluchés, cuisinée, moulinée ou non c'est bon aussi.



Andy Warhol aimait bien dire qu’il ne lisait jamais, qu'il aimait juste regarder les images.


… Le cinéma en couleurs, la télévision, les magazines, les bandes dessinées, la pub, c'était une révolution.
Avant, c'était le règne de l'écrit. Andy Warhol regarde les images envahir le monde.
Aujourd'hui il y en a encore beaucoup plus ; on est submergé par la vague des images, mais on s'en fiche, on peut ne pas les voir, on s'y est habitué.
Lui les voyait arriver !
Andy Warhol est comme un petit garçon qui découvre qu'il peut colorier automatiquement des images en couleurs, alors il en fait beaucoup à la vitesse d'une machine.
Il est connu pour cela.
Il nous a fait comprendre qu'on allait être écrasé par les images, qu'on avait intérêt à se méfier. Lui s’amusait avec le feu.
On ne se méfie jamais assez des images.
Les images de Andy Warhol donnent l’impression qu’il est un collectionneur qui aligne toujours la même chose.
Si on affiche une reproduction d'une oeuvre d’Andy Warhol, c’est comme si on mettait un morceau de supermarché chez soi… Que des bouteilles de Coca de forme bombée. Il les reproduisait côte à côte comme sur un présentoir pour la vente… Pour nous inciter à les boire l’une après l’autre.

Warhol aurait-il aimé être une machine à imprimer ?

…Les rouleaux font avancer les feuilles blanches jusqu'à ce qu'elles passent sur les encres d'imprimerie. Puis elles ressortent imprimées.
" L'encre " d'imprimerie devrait s'appeler "peinture" parce qu'elle n'est pas liquide et qu'elle ressemble plus à la peinture à l'huile. Mais on l'appelle "encre", il faut le savoir.
Andy Warhol faisait de la sérigraphie avec des encres : était-il peintre ou imprimeur? On dit peintre.

…La feuille blanche passe sur trois couleurs, l'une après l'autre. Les trois couleurs sont : le jaune, le cyan, et le magenta.

-Le magenta n’est pas le rouge vif, c’est un rouge violacé.
-Le cyan n’est pas le bleu ciel ni le bleu marine, c’est un bleu particulier.
-Le jaune n’est pas le jaune citron mais plutôt le jaune d’or.

1- En premier, la feuille blanche passe par le jaune ; Il y a maintenant de très petits points jaunes à certains endroits sur la feuille.
2- En deuxième,elle passe sur le cyan ; il y a maintenant des petits points bleus à côté des points jaunes.
Les points jaunes et les points cyan ne se mélangent pas du tout, mais quand on regarde de loin, miracle ! ça donne du vert !
3- Puis, la feuille passe dans le magenta ; il y a maintenant des petits points rouges à certains endroits.
Il faut se souvenir que les petits points jaunes, cyan et magenta ne se touchent pas. Sur une grande affiche publicitaire, c'est quand on est loin que le mélange des points de couleurs se fait parce que nos yeux ont le défaut de tout mélanger. Une bonne loupe permet de voir les points sur un petit magazine.

Les trois couleurs de base ensemble donnent toutes les couleurs que l'on veut ; le jaune, le cyan et le magenta nous donnent l'impression de voir du brun ; ça il faut le savoir ! Quand il n'y a que du magenta et du cyan, on voit du violet.

4- Pour que l’affiche soit plus foncée, il faut faire aussi un quatrième passage avec un rouleau noir.

Notre œil et notre cerveau sont facilement trompés par tous ces points.

Ce système d'imprimerie plaisait beaucoup à Andy Warhol qui s'amusait à perturber l’ordre des quatre passages d’encre.

vendredi, mai 05, 2006

Jackson Pollock dans l'arène.








Jackson Pollock.




« Pollock est un peintre qui ne cherche pas à faire une image avec de la peinture. »
« Ah bon ? »
« Il fait quoi alors ? »

Pollock ne peint pas des images avec un pinceau, il verse sa peinture directement sur la toile, n'importe comment et ça ne donne ni un paysage ni une femme nue... Forcément, on s’en doutait.
À la même époque, Picasso peint au pinceau des personnages qui ne ressemblent pas non plus à des photographies, mais ce sont tout de même des bonshommes et somme toute assez proches des personnages peints à la Renaissance.

Avant Pollock, Kandinsky (qui aurait pu être son grand-père) calculait où mettre ses taches de couleur et ses traits noirs. Il réfléchissait aux formes qui se mélangeaient les unes dans les autres.
Jackson Pollock lui, ne calcule rien du tout... C’est ce que l’on pense quand on regarde rapidement une de ses grandes toiles.
Ça donne même envie de rigoler tellement ça ne ressemble à rien.
Un artiste qui n'a pas du être facile à comprendre par ceux qui ont vécu à son époque ! Il y a cinquante ans.

En 1950.

Les grands artistes ne sont jamais faciles à comprendre quand on vit avec eux. Nous avons de la chance quand nous arrivons après eux , nous pouvons les comprendre quand on fait des efforts.
Essayons !
Les grands-parents des enfants d'aujourd'hui sont nés quand Pollock faisait les premières peintures de filaments qui ont surpris les Américains.
Jackson Pollock voulait seulement que les gens disent qu'il avait bien gesticulé sur la toile, qu'il s'était bien battu sur sa peinture.

« Est-ce qu'il s'en fichait qu’on dise qu'il n'y avait pas d'image sur la toile? »
Bien sûr puisqu'il n'y en avait pas…, Il y a seulement des traces de son combat.
Ne cherchez pas, il n'y a pas d'image, ou alors il faut bien chercher dans cet embrouillamini de lignes et avoir une imagination impétueuse.


"Regardez mon action !" Disait-il. Et ça se voit qu’il agissait.
On pense qu'il s'est bien fatigué sur ces grandes surfaces. Il y a des photographies et des films qui prouvent qu'il est en pleine forme pour peindre à cette vitesse.



Il tient un pot de peinture percé à bout de bras et il se déplace sur sa toile qui est à plat sur le sol.
« Son pot de peinture est perçé ? »
« OUI ! Et c’est lui qui a fait le trou au fond pour que ça coule. »

Dans le pot, il y a de la peinture à l'huile (glycérophtalique) : de la peinture dans laquelle il a rajouté de l'essence de térébenthine et de l’huile de lin pour qu’elle soit encore plus fluide. La peinture en pot est déjà pourtant très liquide par rapport à la peinture pâteuse en tube qu'utilisent les autres artistes; à cette époque, on peut acheter la peinture dans un supermarché, c'est une nouveauté, Jackson Pollock en profite.








Et hop ! Il se déplace afin que le pot ne goutte pas au même endroit: « en haut, en bas, en zigzag, à droite, à gauche, changement de pot de peinture... » Pendant deux heures, il est fatigué. Exténué.

Aux États-Unis juste après la guerre, en 1945, quelques artistes refusent de peindre abstrait comme Kandinsky.
En 1940, à la fin de sa vie, Kandinsky donne l'impression de peindre avec une équerre et un compas ; ça agace quelques peintres américains qui n'ont plus envie de calculer ce qu'ils veulent peindre avant de s’y mettre.
C'est la main et le corps qui vont devenir plus rapides que le cerveau et l'oeil... Ils peignent, ils regardent après, et ainsi de suite.



Jusqu'à dix-huit mois environ les bébés font un peu comme cela sur le papier c'est la main qui précède l'oeil.
Puis après ça s'inverse, c'est l'oeil qui demande à la main d'aller là où il l’a décidé. Du coup, la main se met à hésiter, ça freine la main jusqu’à arriver à ne plus rien peindre du tout.
Les petits n'ont peur de rien, c’est après que ça commence et c’est tant mieux pour la plupart des choses, mais c’est dommage pour la peinture.



Pollock n'est pas retourné en enfance, mais il a essayé d'être rapide et de ne pas trop réfléchir quand il peignait ; un peu comme les Indiens Navajos qu'il admirait et qui étaient ses maîtres. Il aurait aimé qu'ils soient ses ancêtres, mais non…
Les Navajos étaient sur le terrain américain avant lui et cela il en tint compte : il s’inspira de la fièvre des sorciers (chamans) indiens qui dessinaient avec des sables de couleurs les messages que leur envoyaient les dieux.

En anglais, on appelle la peinture de Jackson Pollock "L’Action Painting" en français c'est "La peinture gestuelle".
La technique du pot de peinture percé au fond par un clou, s'appelle "Dripping", en français, "la peinture qui coule " ou encore "dégoulinage"…, il se déplace sans s’arrêter…, le pot de peinture à bout de bras.

Pendant longtemps, les peintres ont peint tranquillement et silencieusement dans leur atelier.
Dans l'atelier de Pollock ça devait faire du bruit quand la peinture giclait et quand il marchait vite à reculons sur sa toile.
Il prend aussi un bâton qu’il trempe dans le pot, il le fait claquer comme un fouet sur la surface, ça fait des filaments partout ; celui qui photographie a intérêt à se protéger comme un pêcheur de haute mer.
Quand on regarde une toile de Jackson Pollock, on est essoufflé tellement on a l'impression que c'est un exploit sportif.
D'autres pensent au contraire que Pollock fait de la dentelle comme une grand-mère. La dentelle, c'est très précis à faire et ça se fabrique très lentement. Lui fait du fouillis et il ne respecte pas la symétrie de la dentelle. S'il est une dentellière (c’est Francis Bacon qui disait cela !) il est une dentellière qui n'a pas mis ses lunettes !
Il a bien un seul fil, mais il l’emmêle plutôt qu'il ne l'organise minutieusement.



Cependant, quand on étudie longtemps la reproduction d’une toile de Jackson Pollock on repère qu'il contrôle plutôt bien la coulée de sa peinture.
On constate qu'il fait à peu près ce qu'il veut.
Pour en savoir plus, pour comprendre ses gestes et sa façon de faire des trucs super chouettes et compliqués sur la toile, il faut essayer de peindre une grande toile comme lui. Quand on essaye sérieusement de peindre comme lui, on est obligé d'admettre qu'il est devenu expert en giclures et en éclaboussures de peinture.



Pour l’imiter, avec le bâton trempé dans la peinture bien fluide, il faut faire comme si on voulait lancer un caillou pour créer des ricochets sur l’eau. Mais on ne lance pas le bâton, on le garde à la main bien sûr.
Quand on a répété plus de cent fois le même geste sur une grande toile de deux mètres sur deux, ça peut faire mal aux ligaments du coude ! On peut garder une tendinite plusieurs semaines.
Pollock a-t-il eu des tendinites en peignant ces grandes peintures qu'il appelait « Number 13 », « nº 42 », « nº 33 », etc. ?
Drôles de titres... C'est à nous de nous débrouiller.
Pas de titres comme "ciel d'hiver étoilé", " rivalité d'êtres féroces", il aurait trouvé cela ridicule.
Il lui arrive tout de même de donner des titres comme : "Couleur argentée sur noir, blanc et jaune." Mais on n’en apprend guère plus sur le sujet. Et puis c’est un peu inutile parce qu'on avait bien vu dans quel ordre il a mis sa peinture : la couleur argentée a bien été mise en dernier.


Quand on regarde bien sa peinture, il y a tellement de couches les unes sur les autres, qu’on imagine que ça a mis longtemps à sécher ; ça fait des peaux fripées : l'air a fait sécher le dessus de la peinture, alors que le dessous est encore tout huileux. La couche du dessus qui a séché plus vite s’est plissée comme la peau de quelqu'un d'âgé et elle emprisonne la peinture vivante du dessous...
Cela voulait-il dire quelque chose pour Pollock ?



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Attention, ce paragraphe n'a peut-être pas d'intérêt pour les arts plastiques.
« On dit qu'il était génial, O.K ! Mais on sait aussi qu'il était alcoolique… Il vaut mieux suivre l'exemple de sa peinture que l'exemple de sa maladie (dépendance) de l'alcool. C'est à cause de l'alcool qu'il est mort dans un accident de voiture entraînant la mort de la femme qui était à côté de lui. Il est mort assez jeune, il avait quarante-quatre ans.
C'est dommage ! On aurait bien aimé voir ce qu'il aurait peint à 60 ans.
Picasso a peint jusqu'à 90 ans et personne ne s'en plaint. »

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Ce qui suit n'est sans doute pas à dire aux enfants, mais c’est important.
Pollock disait à peu près cette phrase qui aide à comprendre toute la force de son corps qu’il mettait dans la peinture : « quand je peins, je me sens vraiment vivant sur la toile, je sens mes testicules ballotter sur la peinture. »
Ce n'est pas si sexiste qu'on le croit ; une femme aurait sans doute dit : « je sens mes seins ballotter sur la peinture... » ce qui est important pour lui, c’est de se sentir bouger.

Pollock est un peu comme une araignée au milieu de sa toile, il tisse un fil de peinture qui dégouline sur la toile en tissu, et avec un mouvement de balancement, de va-et-vient, ou de tourbillon, il surcharge toute la surface comme s'il enregistrait la durée de son travail.
Quand il a fini, on peut se dire : « Tiens, c’est une araignée qui a travaillé deux heures ! » « Ne s'est-il jamais fait coller les pieds dans sa peinture ? »
... On peut l’imaginer collé et enlevant ses chaussures, donc en chaussettes et quittant le milieu de sa toile sur la pointe des pieds comme un danseur................